L'hôpital
de Saint-Jean de Jérusalem,
structure et fonctionnement interne
L'hôpital dont il est question
ici est le bâtiment agrandi et modernisé entre 1153
et 1155 par Raymond du Puy, alors Maître de l'Hôpital.
Il constitue en fait le troisième hôpital (1). Le
bâtiment était placé sous la protection de
saint Jean-Baptiste, d'où son appellation Hôpital
de Saint-Jean de Jérusalem. Il était situé
au sud du Saint-Sépulcre.
I – Sources : présentation
et contenu.
Cet hôpital
nous est connu par divers témoignages écrits, dont
celui de Guillaume de Tyr, mais le plus intéressant, car
le plus complet, est celui de l'auteur anonyme du manuscrit Clm
4620 de Münich. Ce clerc aurait séjourné à
l'Hôpital entre 1177 et 1187 (2) (date de la prise de Jérusalem
par les troupes de Saladin, ce qui sonne le glas de l'Hôpital).
Je le cite : "...J'ai pris consciemment les apparences d'un
client [c'est à dire un serviteur], en me cachant sous
des vêtements plébéiens ; inconnu de tous,
j'ai habité assez longtemps dans la susdite maison...".
Le manuscrit est très riche en renseignements pratiques
sur l'accueil des malades, les soins qu'ils recevaient, le personnel
employé... Les informations obtenues ont été
complétées par d'autres données extraites
du cartulaire de l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.
De la mission
hospitalière de l'ordre de l'Hôpital
Dans les dernières
années du XIIème siècle, Gérard, fondateur
de l'ordre de l'Hôpital, avait été placé
à la tête de la structure d'accueil des pélerins,
fondée par le monastère des Latins. La mission hospitalière
était alors de s'occuper des malades mais aussi des pélerins
sans ressources. Le soin apporté aux malades devint une
occupation de plus ne plus importante et elle est régulièrement
affirmée. Ainsi, le préambule de la la Règle
de Raymond du Puy présente celui-ci comme « servus
pauperum Christi et custos Hospitalis Jerosolimitani »
ou « serf des pauvres du Christ et gardien de l'hôpital
de Jérusalem ». La mention « custos »
se retrouve sur les sceaux des maîtres de l'Hôpital,
comme celui de Raymond du Puy ou de Gaston de Murols pour ne citer
qu'eux.
Sceau de Castus ou Gaston (Gastus)
de Murols
(1170-1172) |
Sceau de Raymond du Puy (1122-1160)
|
Ce n'est pas exclusivement l'hôpital
de Jérusalem qui est détenteur de cette mision d'accueil,
mais l'ensemble des maisons ou « obédiences »
de l'ordre. Ainsi, Raymond du Puy précise-t-il l'attitude
charitable que chaque membre de l'ordre devra adopter (3).
Article 16 de la
Régle de Raymond du Puy approuvée en 1184-1185
:
Comment les seigneurs malades
doivent être accueillis et servis.
"Ensuite lorsqu'un malade entrera dans une autre
obédience placée sous l'autorité
du Maître et du Chapitre de l'Hôpital, [nous
ordonnons] qu'il soit accueilli de la manière suivante.
Qu'il confesse d'abord ses péchés au prêtre,
puis qu'il communie religieusement et ensuite qu'il soit
porté au lit et là, qu'on lui redonne des
forces en le nourrissant charitablement comme un seigneur,
selon les possibilités de la maison, chaque jour
avant que les frères n'aillent manger".
|
L'hôpital se présente
comme une double structure comprenant deux bâtiments d'accueil
("xenodochium", du grec xenos – étranger
- et dochi – action de recevoir), l'un réservé
aux hommes, l'autre aux femmes. Chacun des deux bâtiments
comportait une grande salle destinée à accueillir
les malades. Ce grand espace semble voir été subdivisé
en salles ou rues, qui étaient au nombre de 11 chez les
hommes et de 14 chez les femmes.
Du financement
Accueillant jusqu'à
2000 malades, l'hôpital demandait un financement lourd.
Celui-ci était assuré par les nombreux dons en argent
et en terres qui affluaient d'Occident et d'Orient. Une somme
globale de 1500 besants et les revenus de 6 caseaux (ou exploitations
agricoles) étaient alloués à l'Hôpital.
Chaque année, les baillis et les prieurs de l'Ordre de
Saint-Jean étaient chargés de faire parvenir des
fournitures. Celles-ci provenaient aussi bien d'Occident que des
états latins. Ces fournitures comprenaient de nombreuses
pièces textiles mais aussi des ingrédients nécessaires
à la fabrication des médicaments distribués
aux malades, qui étaient entièrement prix en charge
dès leur arrivée dans l'hôpital.
Document
1 : envoi de fournitures pour les malades (4)
Statut
du 14 mars 1182, promulgué par le chapitre général
de l'ordre, sous le magistère de Roger de Molin.
Cet sit comanda
quand le conseil fu tenus des freres, sur ce que le
prior de l'Ospital de France mandast chascun an en Jerusalem
C dras de coton tainz por renoveler les covertours des
povres, et les contast en sa responsion aveuc ceaux
qui seront donez à la maison en son prioré
en aumone.
|
Postea
precepit magister Hospitalis cum consilio fratrum, ut
prior Hospitalis francie annuatuim, emat C costonios ad
renovandum copertoria pauperum infirmorum et in Jerusalem
illos transmittat, et illos etiam qui in ejus prioratu
amore Dei fuerint oblati pauperibus Hospitalis. |
En
icelle manière et à cel conte le prior de
l'Ospital de S. Gile autretant de dras de coton achate
chascun an, et mande en Jerusalem avec ceaus qui seront
donnez en son priore por l'amor de Deu as povres de l'Ospital.
|
In
hunc modum et in oedem mumero mittat prior S. Egidii in
Jerusalem annuatim et totidem cotas empts, quarum pretium
in ejus responsiorum solutione in compotum admitatur,
et insuperilla que ultro erogati fuerint in elemosinias
amore Dei in ejus prioratu pauperibus Hospitalis. |
Le
prior d'Ytalie chascun an mande en Jerusalem as seignors
povres IIM aunes de fustaines de diverses colors que il
conte chascun an en sa responsion. |
Priam
etiam Italie duo milia brachia fustanorum diversorum colorum
quolibet anno transmitat ejus dominis infirmis in Jerusalem
; que etiam in solutione responsium ejus in compotum admitatur.
|
Et
le prior de Pise mande autresi autretant de fustaines |
Et
prior Pise fustanos in eodem numero mittat. |
Et
le prior de Veneise autressi, et tout soit conté
sur lor responsion. |
Et
totidem similiter prior Venetiarum ; que etian in solutionibus
unius cujusque prirum predictorum incompotum admitatur.
|
Dont
le bailli d'Antioche mande en Jerusalem IIM canes (5)
de toile de coton as covertor des malades. |
Baylivus
vero Antiochis destinet in Jerusalem IIM brachia bombacis
ad opera cohopertorium infirmorum. |
De l'organisation
de l'accueil des malades
L'accueil est
pris en charge par deux catégories de personnes. Il y a
d'une part les frères, membres de l'ordre, et les clients
ou sergents, salariés par l'hôpital et mis au service
des frères tant pour des tâches purement hospitalières
que pour des fonctions de service auprès des frères.
La règle de Raymond du Puy les protége des mauvais
traitements de la part des frères auxquels ils sont rattachés
(6).
Dès son arrivée, le malade était accueilli
par un frère, puis entendu en confession et faisait pénitence,
selon le principe que pour mieux soigner le corps, il fallait
avant toute chose soigner l'âme. Ensuite un frère
conduisait le malade dans son palais. Ses vêtements lui
étaient ôtés et confiés au caravanier
qui les gardait, liés ensemble, pour que le patient les
retrouve au moment de son départ. Les malades recevaient
des manteaux (qui ne sont pas ceux des membres de l'ordre) dépourvus
de peaux, ainsi que des pelisses à porter lorsqu'ils se
levaient. Leurs pieds étaient chaussés de pantoufles
de soie. Puis le patient se couchait dans un lit préparé
par les clients. La description du couchage nous est donnée
par le témoignage du clerc anonyme. Il précise que
le lit se composait d'un pavement sur lequel étaient disposés
d'abord des couvertures hérissées de poils, puis
un couchage fait d'un matelas de plumes, composé de coussins
de linge blanc cousus entre eux. Par-dessus, était placée
une paire de draps de lin. Les linges des lits étaient
changés tous les quinze jours. Si les lits n'étaient
pas en nombre suffisant, ceux des frères étaient
alors réquisitionnés : "alors les malades occupent
le dortoir ainsi que les lits des frères et ceux-ci se
couchent par terre là où ils le peuvent". (On
sait que le monastère se trouvait dans l'enceinte de l'Hôpital,
au "midi" de la grande salle des malades). Des enfants
naissaient dans le xénodochium des femmes qui accueillait
les femmes enceintes. Celles-ci bénéficiaient de
soins particuliers après l'accouchement (elles avaient
droit à des bains) et les enfants étaient déposés
dans des berceaux fabriqués sur place. Mais on y recueillait
aussi des enfants abandonnés qu'on appelait alors les enfants
de Saint-Jean. Lorsqu'il s'agissait de filles, celles-ci étaient
formées pour rendre quelques services quand elles avaient
atteint un âge suffisant.
Des soins
médicaux apportés aux malades
Les malades, exclusion
faite des lépreux, étaient des hommes et des femmes
qui se trouvaient sans abri ni secours.
Contrairement à l'époque du premier hôpital,
les malades étaient de toutes confessions, chrétiens,
juifs, païens, de toutes conditions et de toutes origines
géographiques. Ce pouvait être des pauvres, des pèlerins
dans le besoin ou des blessés de guerre. Les pélerins
nobles y trouvaient la table et le couvert gratuits alors que
les commerçants étaient des hôtes payants.
Un personnel médical était rattaché à
l'hôpital. Ainsi quatre médecins étaient recrutés
et rémunérés (ils percevaient la somme de
2 deniers – dotée d'une symbolique biblique) par
l'hôpital auquel ils étaient liés par un serment.
Ils avaient appris la physique, et pratiquaient donc la médecine,
ce qui était mieux considéré à l'époque
que la chirugie. Leurs fonctions auprès des malades étaient
multiples : ils se répartissaient les visites dans les
salles, examinaient les urines, prenaient le pouls, administraient
les électuaires et les autres remèdes provenant
de l'hôpital. La visite était effectuée avec
l'aide de deux clients. L'un portait le sirop, l'oxymel (composé
de vinaigre miellé), les électuaires (poudres mêlées
de miel et de sirop) et les autres remèdes. Le second montrait
les urines, jetait celles déjà examinées,
nettoyait les pots de chambre, notait l'identité du malade
auquel la diète était prescrite, amenait le minuteur
au malade ou conduisait celui-ci au minuteur qui saignait les
malades tous les jours. Il y avait plusieurs minuteurs qui étaient
rémunérés par l'hôpital de même
que les chirurgiens, lesquels prenaient en charge les hommes blessés
au combat.
Document 2 : la nomination
des médecins et des chirurgiens
4
novembre 1184 ou 1185 : le pape Lucius III à
Roger de Molins, Grand Maître de l'Hôpital.
Il confirme la règle de l'ordre instituée
par le Grand Maître Raymond du Puy et confirmée
par le pape Eugène III et approuve l'établissement
permanent à l'Hôpital des quatres médecins
et de quatre chirurgiens.
Lucius, etc., filiis R[ogerio], magistro, et fratribus Hospitalis
Hierosolymitan, salutem, etc. Quanto, per gratiam Dei, obsequio
pauperum et solatio infirmorum attentius insudatis, et de
die in diem profcitis circa opera pietatis, extenddentes
vos ad anteriora, posteriorum obliti, tanto sincerius religionem
vestram diligimus, et petitiones vestras, que juri conveniunt
et consonant pietati, facilius debemus et volumus exaudire,
ut eo devotius regule vestre observantie insistatis, quo
magis eam noveritis a sede apostolica roboratam. Eapropter,
dilecti in Domino filii, vestris postulationibus clementer
annuimus, et regulam, quam pie recordationis Raymundus,
magister vester, de communi consilio et volluntate capituli,
salubriter ordinavit, et felicis memorie Euenius papa, predecessor
noster, ut accepimus, confirmavit, auctoritate apostolica
confirmamus. Fiduciam quidem habemus per Christum ad Deum
ut, quemadmodum canonicis regularibus beati Augustini regula
concessa est ad salutem, ita, vestram custodientes regulam,
ad eterne beatitudinis premium pertingetis. Remedia pretera
ad infirmorum curam, deliberatione provia constituta, videlicet
ut in domo Hospitalis semper quatuor medici et totidem sint
chirurgici, ad quorum dispositionem ea, que in cibariis
aut aliis infirmis necessaria fuerint, ministrentur ; et
alia plura, que in scriptis vestris redigentes utiliter
ordinastis, nihilominus approbantes, revocari a quoquam
sub interminnatione anathematis prohibemus, nisi forte augendo
in meliusmutarentur. Nulli ergo, etc. Dat. Verone, II nonas
novembris.
|
Lucius,
etc. envoie son salut à ses chers fils, au Grand
Maître Roger, et aux frères Hospitaliers de
Jérusalem. Plus vous vous dépensez, par la
grâce de Dieu, à assister les pauvres et soulager
les malades, et de jour en jour développez vos oeuvres
de charité, tendant vos efforts vers l'avant sans
regarder en arrière, plus nous apprécions
– sans réserve – votre esprit religieux
et plus nous devons et voulons prêter une oreille
favorable à votre requête conforme au droit
et inspirée la foi, pour que vous vous attachiez
avec d'autant plus de zèle à l'observance
de votre régle que vous la saurez soutenue par l'autorité
apostolique. C'est pourquoi, mes chers fils dans le Seigneur,
nous recevons avec bienveillance votre requête, et
la règle que votre Grand Maître Raymond, de
pieuse mémoire, institua utilement sur décision
et volonté commune au chapitre , et que le pape Eugène,
d'heureuse mémoire, notre prédécesseur,
a confirmée, comme nous le savons, cette règle
nous la confirmons de notre autorité apostolique.
Oui, nous mettons notre confiance en Dieu, par le Christ,
pour que, de même que la régle du bienheureux
Augustin a été donnée aux chanoines
réguliers pour leur salut, de même vous, vous
accédez à la récompense de la vie éternelle
en observant votre règle. en observant votre régle
...Pour les rémèdes destinés au soin
des malades, il est clair, après mûre délibération,
qu'il doit y avoir à demeure dans l'Hôpital
quatre médecins et autant de chirurgiens ; que doit
être mis à leur disposition tout ce qui sera
nécessaire aux malades en froment ou autre ; et n'approuvant
pas moins les autres points que vous avez consignés
dans votre lettre, nous interdisons à qui que ce
soit, sous menace d'anathème, d'y changer quelque
choses sinon pour y apporter des améliorations.
(Traduction de Mme Besson) |
Il
est fort probable, même si nous n'en avons pas de preuve
absolue, que les médicaments étaient fabriqués
sur place. En effet, parmi les fournitures que l'hôpital
se faisait livrer, figure du sucre qui entrait dans la composition
des sirops.
Statut
du 14 mars 1182, promulgué par le chapitre général
de l'ordre, sous le magistère de Roger de Molin (7).
Le prior
de Montpelerin mande en Jerusalem II quintaus de sucre por
le syrop, et les medecines, et les laituaires des malades.
|
Prior Montispellerini mitat
in Jerusalem duo quintalia cucari pro conficiendis lectuariis,
sirupis et alis medicinis ad opera infirmorum.
|
Des soins
généraux apportés aux malades
Ils étaient
à la charge des sergents ou clients. Ceux-ci faisaient
les lits et les tenaient propres. Ils conduisaient les malades
aux "lieux", ils apportaient de l'eau chaude, des essuie-mains,
mais aussi du pain placé dans une corbeille et du vin coupé
à boire. Chaque lundi et chaque jeudi, ils lavaient les
pieds des malades avec de l'eau chaude et une pierre ponce, puis
les essuyaient.
Les gardes de nuit étaient effectuées à tour
de rôle par deux clients qui allumaient les lampes pour
que les malades ne se blessent pas dans l'obscurité (la
salle était éclairée par des lampadaires
mais aussi par trois ou quatre flambeaux). Le premier client faisait
sa ronde en tenant dans sa main gauche une chandelle de cire ainsi
qu'une crosse et présentait au malade dans sa main droite
un gobelet rempli de vin coupé à boire. L'autre
client tenait, lui, une chandelle et apportait de l'eau dans un
récipient de verre, ou de l'eau chaude dans un petit bassin
ou dans un gobelet. Dès la fin des complies, une procession
était organisée. Les frères marchaient en
tête portant une lampe, les autres une chandelle. Cette
procession avait pour but de surveiller la décence des
comportements et de vérifier que tout était en ordre.
Après quoi deux clients et deux frères effectuaient
une ronde pour vérifier que tous les gardiens étaient
à leur poste.
Si le travail était mal fait, le responsable était
puni dès le lendemain. Le frère était condamné
au pain et à l'eau pendant 40 jours et il était
aussi privé des honneurs de la table, ce qui l'obligeait
à manger par terre. Le client reconnu coupable de l'abandon
de veille était battu nu, à travers le palais ;
celui qui avait prononcé des paroles injurieuses subissait
le fouet.
Pendant que les malades mangaient, un frère accompagné
par un client passait dans les salles. Ils tenaient l'un et l'autre
dans la main droite un encensoir et dans la main gauche des petits
paniers emplis d'encens qu'ils offraient aux malades. Ces derniers
étaient ensuite bénits.
Du soutien
de la religion
Les malades avaient
droit au soutien de la religion. L'ordre comprenait des frères
clercs qui avaient aussi comme fonctions de rendre visite au malades
incapables de se déplacer.
Règle de
Raymond du Puy (1145-1153) :
du comportement
des frères, du service des églises et de la
réceptin des malades
« Lorsque le prêtre va visiter les malades,
il doit être en vêtements blancs et porter religieusement
le corps de Notre Seigneur tandis qu'un diacre ou qu'un
sous-diacre ou du moins un acolyte le précède
en tenant la lenterne avec une chandelle allumée
ainsi qu'un goupillon avec de l'eau bénite ».
|
En cas de décès d'un
malade, les prêtres ou frères clercs étaient
chargés de transporter le corps au monastère voisin,
où il était l'objet de soins comparables à
ceux qu'on apportait aux frères défunts.
Document
3 : à propos des défunts (8)
14
mars 1182 : statut promulgué par le chapitre général
de l'Ordre sous le magistère de Roger de Molin.
Apres escrist
le siste chapitre que les bieres (9) des mors fucent en
manire d'art cancelées ausi com les bières
des freres, et soient couvert d'un drap rouge au croiz blanche
|
Postea
precepi quod lecti mortuorum fiant ad modum unius archancele,
sicut lecti fratrum defunctorum, et cohoperiantur uno
cohopertorio rubeo cum alba cruce a parte superiori.
|
1177-1181
: Règlement de l'église de l'Hôpital
de Jerusalem (messes et obsèques)
Et comamdement
est que les cors des pelerins ou d'autres crestiens, qui
apres l'ore [comune] de vespres trespasseront, qu'ils soient
laissiez à entier jusques à lendemain en l'ospital
où ils seront trespassez, ne gisent mie en la bière
sanz lumiere. Et lendemain devant prime soient portez en
terre ; les bieres des mors soient tele come les furent
en Jerusalem. |
Preceptum est ut corpora
peregrinorum et christianorum aliorum defunctorum post
convenientem horam vesperorum, non sepeliantur usque mane
proxime diei sequentis, et in illo hospitali ubi defecerint
non jaceant in lectis sine lumine. Quorum corpora deferantur
ad ecclesiam ante primam, et post missam sepeliantur ;
lecti vero mortuorum sint tales quales sunt illi de Jerusalem
|
Le règlement stipule
que les corps des pélerins et autres chrétiens
morts après l'heure des vêpres, ne soient
pas portés en terre avant le lendemain matin ;
que dans l'hôpital où ils seront décédés
ils ne reposent pas sans lumière sur les lits funèbres
; que leurs corps soient transportés dans l'église
avant prime et ensevelis après la messe ; les lits
funèbres de ces morts doivent être semblables
à ceux de Jérusalem.
|
Cependant, il ne
semble pas que les frères Hospitaliers aient eu en charge
les messes des défunts et les inhumations, autres que celles
concernant les membres même de l'Ordre. La seule autorisation
qu'ils possèdent de le faire ne concerne, semble-t-il,
que les membres de l'ordre (10). Les corps des malades décédés
étant transporté dans le monastère voisin,
c'est sans doute là aussi que se déroulaient les
cérémonies funèbres et les ensevelissements.
De la nourriture
des malades
Le clerc anonyme donne
de nombreuses précisions sur le régime alimentaire
des malades. Ces derniers bénéficiaient d'une alimentation
riche et variée, mais qui suivait les recommandations des
médecins. Les achats étaient faits par les frères
de salle qui recevaient une somme variant entre 20 et 30 pièces
d'or.
Il y avait deux cuisines, l'une commune aux hommes et aux femmes,
l'autre particulière.
La cuisine commune était le lieu de préparation
des plats grossiers, comme la viande de porc ou de bélier,
les dimanches, mardis et jeudis.
De la cuisine particulière, les lundis, mercredis, vendredis
et samedis, provenaient des plats plus fins, des viandes (poule
ou poulet, pigeons, perdrix, agneau), du pain d'épeautre,
des oeufs, du poisson, des fruits (melons, citrouilles, grenades,
poires, prunes, raisin, amandes, châtaignes, figues sèches),
des légumes (laitues, chicorées, racines, pourpier,
persil, ache, concombre), des plats de pois chiches, des plats
faits de farine de froment. Le Frère chef de salle était
chargé de prendre en note si le malade mangeait volontiers
ou non. Dans ce dernier cas, d'autres plats lui étaient
présentés. L'alimentation était intimement
liée à la médecine et cela explique les changements
de régime ou les combinaisons multiples d'aliments pour
mieux lutter contre telle ou telle maladie.
Certains aliments n'étaient
jamais proposés aux malades comme les fèves, les
lentilles, les crustacés, les murènes et aussi les
truies, car ils étaient tenus pour indigestes du fait de
leur classement comme éléments humides féminins.
Les malades avaient droit au "privilège
du pain blanc". Le clerc précise "un pain est
commun à tous ceux qui demeurent dans la maison, l'autre
qui contient la plus fine fleur de la farine, est fabriqué
spécialement à l'usage des malades. Seuls les malades
se nourrissent quotidiennement de ce dernier pain, ce dont personne,
par souci de miséricorde, ne conteste le bien fondé".
Document 4 : le privilège
du pain blanc (11)
Date 1176. Jobert, Maître
de l'Hôpital, affecte les revenus de deux casaux de
l'Ordre, ceux de Marie et de Caphaer, a assurer du pain blanc
aux malades soignés à l'Hôpital de Jérusalem.
Le prevelige des malades
por le pain blanc.
Au nom dou pere et dou fiz et dou saint esperit, amen. Sachent
tuil cil qui sont et qui avenir seront, fiz de la saonte
mere iglise, que je Jobert, maistre de l'Ospital de Jerusalem,
par la bone volonté de touz nos freres et ygal assentement
en audience de noustre comun chpistre, par devant la presence
et tehmoing passion et de la resurrection noutre Seignor,
ai doné et otroié en possession parmanable
à nostres seignors benehurez, ce est à savoir
as poures, et à frere Estienne, hospitalier au tens
dou Xenodoche de l'Ospital de Jerusalem, et à frere
Estienne, hospitalier au tens, et à lor successors
qui venront apres eaus perpetuelment à touz jors,
II caaus, se et à savoir le casal de S. Marie et
Caphaer, por pain blanc qui lor soit doné tout tens,
au toutes les possessions et les apartenances dedenz et
defors ; et se par aventure avenist que le ble fausist es
casaus ou ne poyst la soufraite des poures acomplir, dou
tresor soit pris tant que l'on poyst acheter pain blanc
et livrer as poures soufisament ; et se il avenoit que le
froment des casaus fust mehlé d'aune male herbe,
dou grenier de l'Ospital soit pris pur froment muy por muy,
et en soient noz seignors les poures serviz soufisanment.
Et por ce que cest don soit ferm et estable parmanablement,
nos en avons fait seeler ceste chartre de noutre seel ;
etse aucun desorenavant veule aler contre est saint comandement
ou le veulle destorber, dampnez sit il avec Judas le traytor
en dampnacion paramanable, aveuc Caym et Datan et Abilon,
que la terre englouti, soit maudit de la maleyçon,
amen.
|
Du soin
sur le champ de bataille
Les Hospitaliers
apportaient des soins aux blessés, dans leur campement,
lors des combats. Le clerc anonyme évoque les tentes que
les Frères faisaient dresser près des champs de
bataille en guise d'hôpital de campagne afin d'y accueillir
les blessés chrétiens. Des soins complets y étaient
donnés et les blessés qui ne guérissaient
pas étaient ensuite transportés à l'hôpital
ou dans les refuges de l'hôpital les plus proches, sur des
bêtes de somme (chameaux, mulets ou ânes) ou sur les
montures des chevaliers, contraignant ceux-ci à revenir
à pied.
Des soins
donnés aux femmes
Dans l'hôpital des
femmes, les malades, les femmes enceintes et les enfants étaient
pris en charge par un personnel féminin. Une bulle du 22
août 1190 (12), donc légèrement postérieure
à la date du témoignage du clerc anonyme, donne
l'autorisation aux Hospitaliers de baptiser les enfants abandonnés
à la porte de l'hôpital de Jérusalem ou nés
dans les autres maisons de l'ordre. On ne sait donc avec certitude
si ce texte vient entériner un état de fait ou s'il
accorde un privilège nouveau.
es enfants abandonnés qui devaient être encore allaités,
étaient confiés à des nourrices rémunérées
et surveillées par l'hôpital. Le témoignage
du clerc anonyme est très précis sur ce point. Les
nourrices avaient l'obligation d'amener les enfants à l'hôpital
où ils étaient examinés par les soeurs. Les
autres enfants qui avaient besoin de bonne nourriture pour se
rétablir restaient dans l'hôpital.
Le clerc
anonyme : ..."Cependant,
afin d'éviter qu'elles ne s'engourdissent à
l'occasion de la garde qu'elles exercent sur les petits
enfants [...] les nourrices sont tenues de les conduire
fréquemment à l'Hôpital où les
soeurs de la maison les examinent un à un avec une
attention prudente et quasi maternelle et confient la garde
[des enfants] mal élevés à d'autres
nourrices". |
Comme on peut le constater, l'organisation
de l'hôpital présentait une grande complexité
et fonctionnait aussi de manière très rigoureuse.
Ces qualités faisaient déjà à l'époque
la réputation de cet établissement.
II –
Exploitation des sources.
L'étude
du manuscrit du clerc anonyme a permis l'identification de statuts
spécifiques au fonctionnement de l'hôpital. Parfois,
une certaine confusion règne dans la description des rôles
impartis à chacun, mais il est cependant possible d'en
établir une répartition. Le tableau ci-dessous en
est le résumé.
XENODOCHIUM
DES HOMMES
|
Personnel
membre de l'ordre |
Fonctions
|
Personnel
exterieur
à l'ordre - Fonctions |
MAITRE DE
L' HOPITAL |
il dirige les :
- frères clercs
- frères lais
- frères convers |
|
FRERE HOSPITALIER
placé sous l'autorité du Maître
de l'Hôpital
|
il dirige l'Hôpital
:
- il reçoit le financement (1500 besans par an)
- il garde l'argent des malades
- il assiste à la rédaction des testaments des
malades
- il réprime les infractions
- il inflige les peines |
|
TRESORIER |
- chaque
semaine, il verse la somme nécessaire aux frères
chargés d'acheter les nourritures délicates
pour les malades
|
|
ONZE FRERES CHEFS
DE SALLE
dirigent chacun une des onze salles ou rues* de l'Hôpital
|
- chacun
possède l'autorité sur le personnel interne
et externe de chaque salle et exerce un contrôle général
sur le fonctionnement de sa salle |
|
CARAVANIER |
- il
garde les vêtements des malades qui les récupèrent
à leur départ |
|
CUISINIERS
(existence hypothétique)
|
- ils travaillent dans la
cuisine commune aux hommes et aux femmes |
Employés de cuisine
(?)
Frères ? |
ORGANISATION
INTERNE A UNE SALLE
|
LE
FRERE CHEF DE SALLE a l'autorité dans sa salle |
FRERES DE SALLE |
- ils étaient rattachés
à une salle pour exercer une fonction d'accueil, de
surveillance en particulier des gardes qui étaient
des clients
|
|
FRERES CLERCS |
- ils avaient en charge les
messes, processions, communions et confessions
|
|
|
- 12 clients ou sergents ou
serviteurs désignés |
Les clients
sont au service des maladesmais s'occupaient aussi des frères
Hospitaliers auxquels ils lavaient la tête, faisaient
les barbes et coupaient les cheveux trop longs. |
|
- les médecins |
- ils
sont payés par l'Hôpital et sont aidés
par deux clients lors de leurs visites aux malades. |
|
- les chirurgiens |
- ils
sont payés par l'Hôpital et prennent en charge
les blessés au combat |
|
- les minuteurs |
- ils
ont chargés des saignées pratiquées
à tout moment |
|
- les "bénévoles" |
- des
nobles pouvaient venir prêter assistance aux malades
en leur apportant à manger et à boire |
XENODOCHIUM
DES FEMMES |
Personnel membre de l'ordre
Fonctions |
Personnel extérieur
à l'ordre
Fonctions |
Personnel d'origine indéterminée
|
Présence des soeurs
:
- ce sont des matrones plus âgées
- ce sont des sages veuves
- des femmes vertueuses et religieuses
|
Les nourrices
- elles sont rémunérées et surveillées
chez elles
- elles reçoivent de la nourriture (9 rations lors
des solennités) |
Mention de servantes
|
CUISINE
COMMUNE AUX HOMMES ET AUX FEMMES |
Ce tableau permet de mieux synthétiser
les informations pratiques. Ainsi apparaît une organisation
faiblement hiérarchisée.
Au niveau supérieur
se trouve le Frère Hospitalier. Il gère l'hôpital.
Il en contrôle le budget. On peut supposer aussi qu'il s'occupaient
des rétributions versées aux personnels salariés
(clients, médecins, chirurgiens...), à moins que
celles-ci n'aient été à la charge exclusive
du trésorier. Le Frère de l'Hôpital exerce
aussi une autorité morale comme en attestent ces fonctions
de répression. Les peines qu'il est autorisé à
infliger sanctionnaient sans doute les fautes commises par les
frères autant que par les clients (défaut de garde
par exemple).
Au niveau immédiatement inférieur se trouve une
organisation horizontale qui se calque sur l'organisation même
de l'hôpital. La cellule de base est la salle (onze en tout),
dirigée par un frère de salle. Celui-ci semble avoir
eu à ses ordres un personnel de salle chargé (mais
pas seulement) de s'occuper des malades : préparer les
lits, nourrir les patients, les mener aux toilettes, veiller sur
eux...
Cette organisation à très faible hiérarchisation
reproduit un système communautaire. Déjà
à l'époque de Gérard (1099-1113), aucune
organisation clairement hiérarchisée n'est attestée,
lors qu'après la fondation de l'Ordre en 1113, la charge
de l'hôpital incombe aux frères. Il semble donc que
cette caractéristique ait persisté. Cependant, certains
frères avaient une fonction bien spécifique comme
le trésorier et le caravanier comme c'est aussi le cas
au sein d'un monastère, sans pour autant qu'aucune forme
d'autorité ne soit associée à ces activités.
L'organisation de l'hôpital semble mettre en évidence
une division très nette des fonctions entre frères
et employés. Il apparaît ainsi que les premiers étaient
moins en charge des malades qu'on se le serait imaginé
et semblent avoir surtout exercé des fonctions de contrôle
et d'autorité. En définitive, les tâches les
plus pratiques, voire les plus triviales, étaient entre
les mains d'un personnel salarié tandis que la gestion
et /ou les rôles de direction et de surveillance étaient
dévolus aux frères. A l'époque de Gérard,
c'était aussi le cas puisque les Bénédictins
avaient confié la charge de l'hôpital à des
employés, dont Gérard faisait partie d'ailleurs.
Le personnel salarié mentionné par le clerc anonyme
était nombreux. Si on suit les indications chiffrées,
on compte déjà 132 clients auxquels on peut rajouter
les 8 spécialistes que sont les médecins et les
chirurgiens. Pour les frères de l'Hôpital, on atteint
le nombre de 14 personnes attestées précisément
- le frère de l'Hôpital, le trésorier, le
caravanier et les 11 frères de salles – auxquels
il faut ajouter les frères clercs non dénombrés.
Les autres personnels ne sont ni identifiés clairement
(frères de l'Hôpital ou personnel extérieur
remplissant les fonctions de cuisiniers par exemple) ni dénombrés.
A aucun moment, la mention n'est faite de serviteurs qui auraient
pu avoir en charge le nettoyage des salles ou encore celui du
linge, ce qui semble pourtant être une nécessité.
Même sans cette précision, la description du clerc
anonyme met en évidence la disproportion numéraire
entre les membres de l'ordre et les personnels extérieurs
rattachés à l'hôpital. Les Hospitaliers auraient-ils
accordé moins d'importance à l'accueil des nécessiteux,
pélerins et malades, fonction qui pourtant a été
à l'origine de la fondation de l'hospice, à l'époque
de Gérard ? Certainement pas. Au contraire, la rigoureuse
organisation de l'hôpital montre le grand cas qui était
fait des malades. Et les frères ne regardaient pas à
la dépense pour leur bien être et leur santé.
Il est cependant possible que les exigences stratégiques
d'alors aient monopolisé plus de forces militaires dans
les opérations de défense des états latins,
conduisant les Hospitaliers à faire appel à une
main d'oeuvre extérieure à l'ordre mais rémunérée
par celui-ci pour prendre soin des malades, qui demeuraient « leurs
seignors » .
Bibliographie
BELTJENS., Alain, « Le
récit d'une journée au grand hôpital de Saint-Jean
de Jérusalem sous le règne des drniers rois latins
ayant résidé à Jérusalem, ou le témoignage
d'un clerc anonyme conservé dans le manuscrit Clm 4620
de Münich », Bulletin numéro 14 de la Société
de l'Histoire et du patrimoine de l'Ordre de Malte, 2004.
DELAVILLE LE ROULX, Le Cartulaire de l'Orde de Saint-Jean de Jérusalem,
1904.
Catherine Lagier - Oriabel
Pour les Guerriers du Moyen Age
1 - Le premier
a été construit entre 1063 et 1071 sur l'initiative
des Bénédictins du monastère des Latins.
C'est ce bâtiment qui a ensuite été l'objet
d'agrandissements par Gérard, fondateur de l'ordre de l'Hôpital
de Saint-Jean de Jérusalem, entre 1099 et 1113.
2 - Cet anonyme a rempli les fonctions de client qu'il appelle
lui-même sergent. Ce terme apparaît dans la règle
de Raymond du Puy, mais aussi dans un des statuts de Rogers de
Molins, daté de 1182. A cette date, il y a neuf sergents
par salle [« ...fu adjoint en chapitre general que,
en chascune rue et place de l'Opital où les malades reposent,
que IX sergent soient prest à lor servise qui lavent lor
piés bonement, et les eissuient de dras, et facent lor
liz... »]. Le clerc anonyme en évoque 12. Ce
détail pourrait peut-être permettre de réduire
la fourchette chronologique. Il est alors possible que le clerc
ait séjourné entre 1177 et 1182, date à laquelle
le nombre de sergents aurait peut-être été
réduit.
3 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, p. 62-68.
4 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, p. 426.
5 - Dans le midi de la France, la cane est aussi une unité
de mesure. Elle correspond à 2 mètres environ.
6 - : Des frères qui se conduisent mal : «
...en outre nous défendons aux frères de battre
les sergents qui sont attachés à leur personne,
quels que soient la faute ou le péché que ceux-ci
auront commis... »
7 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, p. 427.
8 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, p. 426.
9 - Il faut entendre le mot de « bière »
non pas au sens moderne du terme mais au sens de lit funèbre,
lit d'exposition du mort.
10 - Le pape Lucius III donne l'autorisation au maître Roger
de Molins, par la bulle datée du 12 décembre 1183,
d'enterrer les morts dans les cimetières de l'ordre et
de célébrer des messes pour les défunts.
Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, numéro 705.
11 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, tome 1, p. 339-340.
12 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome I, numéro
898. |