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L'hôpital de Saint-Jean de Jérusalem,
structure et fonctionnement interne


L'hôpital dont il est question ici est le bâtiment agrandi et modernisé entre 1153 et 1155 par Raymond du Puy, alors Maître de l'Hôpital. Il constitue en fait le troisième hôpital (1). Le bâtiment était placé sous la protection de saint Jean-Baptiste, d'où son appellation Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. Il était situé au sud du Saint-Sépulcre.


I – Sources : présentation et contenu.

Cet hôpital nous est connu par divers témoignages écrits, dont celui de Guillaume de Tyr, mais le plus intéressant, car le plus complet, est celui de l'auteur anonyme du manuscrit Clm 4620 de Münich. Ce clerc aurait séjourné à l'Hôpital entre 1177 et 1187 (2) (date de la prise de Jérusalem par les troupes de Saladin, ce qui sonne le glas de l'Hôpital). Je le cite : "...J'ai pris consciemment les apparences d'un client [c'est à dire un serviteur], en me cachant sous des vêtements plébéiens ; inconnu de tous, j'ai habité assez longtemps dans la susdite maison...". Le manuscrit est très riche en renseignements pratiques sur l'accueil des malades, les soins qu'ils recevaient, le personnel employé... Les informations obtenues ont été complétées par d'autres données extraites du cartulaire de l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

De la mission hospitalière de l'ordre de l'Hôpital

Dans les dernières années du XIIème siècle, Gérard, fondateur de l'ordre de l'Hôpital, avait été placé à la tête de la structure d'accueil des pélerins, fondée par le monastère des Latins. La mission hospitalière était alors de s'occuper des malades mais aussi des pélerins sans ressources. Le soin apporté aux malades devint une occupation de plus ne plus importante et elle est régulièrement affirmée. Ainsi, le préambule de la la Règle de Raymond du Puy présente celui-ci comme « servus pauperum Christi et custos Hospitalis Jerosolimitani » ou «  serf des pauvres du Christ et gardien de l'hôpital de Jérusalem ». La mention « custos » se retrouve sur les sceaux des maîtres de l'Hôpital, comme celui de Raymond du Puy ou de Gaston de Murols pour ne citer qu'eux.


Sceau de Castus ou Gaston (Gastus) de Murols
(1170-1172)

Sceau de Raymond du Puy (1122-1160)

Ce n'est pas exclusivement l'hôpital de Jérusalem qui est détenteur de cette mision d'accueil, mais l'ensemble des maisons ou « obédiences » de l'ordre. Ainsi, Raymond du Puy précise-t-il l'attitude charitable que chaque membre de l'ordre devra adopter (3).

Article 16 de la Régle de Raymond du Puy approuvée en 1184-1185 :

Comment les seigneurs malades doivent être accueillis et servis.
"Ensuite lorsqu'un malade entrera dans une autre obédience placée sous l'autorité du Maître et du Chapitre de l'Hôpital, [nous ordonnons] qu'il soit accueilli de la manière suivante. Qu'il confesse d'abord ses péchés au prêtre, puis qu'il communie religieusement et ensuite qu'il soit porté au lit et là, qu'on lui redonne des forces en le nourrissant charitablement comme un seigneur, selon les possibilités de la maison, chaque jour avant que les frères n'aillent manger".

L'hôpital se présente comme une double structure comprenant deux bâtiments d'accueil ("xenodochium", du grec xenos – étranger - et dochi – action de recevoir), l'un réservé aux hommes, l'autre aux femmes. Chacun des deux bâtiments comportait une grande salle destinée à accueillir les malades. Ce grand espace semble voir été subdivisé en salles ou rues, qui étaient au nombre de 11 chez les hommes et de 14 chez les femmes.

Du financement

Accueillant jusqu'à 2000 malades, l'hôpital demandait un financement lourd. Celui-ci était assuré par les nombreux dons en argent et en terres qui affluaient d'Occident et d'Orient. Une somme globale de 1500 besants et les revenus de 6 caseaux (ou exploitations agricoles) étaient alloués à l'Hôpital. Chaque année, les baillis et les prieurs de l'Ordre de Saint-Jean étaient chargés de faire parvenir des fournitures. Celles-ci provenaient aussi bien d'Occident que des états latins. Ces fournitures comprenaient de nombreuses pièces textiles mais aussi des ingrédients nécessaires à la fabrication des médicaments distribués aux malades, qui étaient entièrement prix en charge dès leur arrivée dans l'hôpital.

Document 1 : envoi de fournitures pour les malades (4)

Statut du 14 mars 1182, promulgué par le chapitre général de l'ordre, sous le magistère de Roger de Molin.

Cet sit comanda quand le conseil fu tenus des freres, sur ce que le prior de l'Ospital de France mandast chascun an en Jerusalem C dras de coton tainz por renoveler les covertours des povres, et les contast en sa responsion aveuc ceaux qui seront donez à la maison en son prioré en aumone.

 

 

Postea precepit magister Hospitalis cum consilio fratrum, ut prior Hospitalis francie annuatuim, emat C costonios ad renovandum copertoria pauperum infirmorum et in Jerusalem illos transmittat, et illos etiam qui in ejus prioratu amore Dei fuerint oblati pauperibus Hospitalis.

En icelle manière et à cel conte le prior de l'Ospital de S. Gile autretant de dras de coton achate chascun an, et mande en Jerusalem avec ceaus qui seront donnez en son priore por l'amor de Deu as povres de l'Ospital.
In hunc modum et in oedem mumero mittat prior S. Egidii in Jerusalem annuatim et totidem cotas empts, quarum pretium in ejus responsiorum solutione in compotum admitatur, et insuperilla que ultro erogati fuerint in elemosinias amore Dei in ejus prioratu pauperibus Hospitalis.
Le prior d'Ytalie chascun an mande en Jerusalem as seignors povres IIM aunes de fustaines de diverses colors que il conte chascun an en sa responsion.
Priam etiam Italie duo milia brachia fustanorum diversorum colorum quolibet anno transmitat ejus dominis infirmis in Jerusalem ; que etiam in solutione responsium ejus in compotum admitatur.
Et le prior de Pise mande autresi autretant de fustaines
Et prior Pise fustanos in eodem numero mittat.
Et le prior de Veneise autressi, et tout soit conté sur lor responsion.
Et totidem similiter prior Venetiarum ; que etian in solutionibus unius cujusque prirum predictorum incompotum admitatur.
Dont le bailli d'Antioche mande en Jerusalem IIM canes (5) de toile de coton as covertor des malades.
Baylivus vero Antiochis destinet in Jerusalem IIM brachia bombacis ad opera cohopertorium infirmorum.

De l'organisation de l'accueil des malades

L'accueil est pris en charge par deux catégories de personnes. Il y a d'une part les frères, membres de l'ordre, et les clients ou sergents, salariés par l'hôpital et mis au service des frères tant pour des tâches purement hospitalières que pour des fonctions de service auprès des frères. La règle de Raymond du Puy les protége des mauvais traitements de la part des frères auxquels ils sont rattachés (6).
Dès son arrivée, le malade était accueilli par un frère, puis entendu en confession et faisait pénitence, selon le principe que pour mieux soigner le corps, il fallait avant toute chose soigner l'âme. Ensuite un frère conduisait le malade dans son palais. Ses vêtements lui étaient ôtés et confiés au caravanier qui les gardait, liés ensemble, pour que le patient les retrouve au moment de son départ. Les malades recevaient des manteaux (qui ne sont pas ceux des membres de l'ordre) dépourvus de peaux, ainsi que des pelisses à porter lorsqu'ils se levaient. Leurs pieds étaient chaussés de pantoufles de soie. Puis le patient se couchait dans un lit préparé par les clients. La description du couchage nous est donnée par le témoignage du clerc anonyme. Il précise que le lit se composait d'un pavement sur lequel étaient disposés d'abord des couvertures hérissées de poils, puis un couchage fait d'un matelas de plumes, composé de coussins de linge blanc cousus entre eux. Par-dessus, était placée une paire de draps de lin. Les linges des lits étaient changés tous les quinze jours. Si les lits n'étaient pas en nombre suffisant, ceux des frères étaient alors réquisitionnés : "alors les malades occupent le dortoir ainsi que les lits des frères et ceux-ci se couchent par terre là où ils le peuvent". (On sait que le monastère se trouvait dans l'enceinte de l'Hôpital, au "midi" de la grande salle des malades). Des enfants naissaient dans le xénodochium des femmes qui accueillait les femmes enceintes. Celles-ci bénéficiaient de soins particuliers après l'accouchement (elles avaient droit à des bains) et les enfants étaient déposés dans des berceaux fabriqués sur place. Mais on y recueillait aussi des enfants abandonnés qu'on appelait alors les enfants de Saint-Jean. Lorsqu'il s'agissait de filles, celles-ci étaient formées pour rendre quelques services quand elles avaient atteint un âge suffisant.

Des soins médicaux apportés aux malades

Les malades, exclusion faite des lépreux, étaient des hommes et des femmes qui se trouvaient sans abri ni secours.
Contrairement à l'époque du premier hôpital, les malades étaient de toutes confessions, chrétiens, juifs, païens, de toutes conditions et de toutes origines géographiques. Ce pouvait être des pauvres, des pèlerins dans le besoin ou des blessés de guerre. Les pélerins nobles y trouvaient la table et le couvert gratuits alors que les commerçants étaient des hôtes payants.
Un personnel médical était rattaché à l'hôpital. Ainsi quatre médecins étaient recrutés et rémunérés (ils percevaient la somme de 2 deniers – dotée d'une symbolique biblique) par l'hôpital auquel ils étaient liés par un serment. Ils avaient appris la physique, et pratiquaient donc la médecine, ce qui était mieux considéré à l'époque que la chirugie. Leurs fonctions auprès des malades étaient multiples : ils se répartissaient les visites dans les salles, examinaient les urines, prenaient le pouls, administraient les électuaires et les autres remèdes provenant de l'hôpital. La visite était effectuée avec l'aide de deux clients. L'un portait le sirop, l'oxymel (composé de vinaigre miellé), les électuaires (poudres mêlées de miel et de sirop) et les autres remèdes. Le second montrait les urines, jetait celles déjà examinées, nettoyait les pots de chambre, notait l'identité du malade auquel la diète était prescrite, amenait le minuteur au malade ou conduisait celui-ci au minuteur qui saignait les malades tous les jours. Il y avait plusieurs minuteurs qui étaient rémunérés par l'hôpital de même que les chirurgiens, lesquels prenaient en charge les hommes blessés au combat.

Document 2 : la nomination des médecins et des chirurgiens

 

 

4 novembre 1184 ou 1185 : le pape Lucius III à Roger de Molins, Grand Maître de l'Hôpital. Il confirme la règle de l'ordre instituée par le Grand Maître Raymond du Puy et confirmée par le pape Eugène III et approuve l'établissement permanent à l'Hôpital des quatres médecins et de quatre chirurgiens.
Lucius, etc., filiis R[ogerio], magistro, et fratribus Hospitalis Hierosolymitan, salutem, etc. Quanto, per gratiam Dei, obsequio pauperum et solatio infirmorum attentius insudatis, et de die in diem profcitis circa opera pietatis, extenddentes vos ad anteriora, posteriorum obliti, tanto sincerius religionem vestram diligimus, et petitiones vestras, que juri conveniunt et consonant pietati, facilius debemus et volumus exaudire, ut eo devotius regule vestre observantie insistatis, quo magis eam noveritis a sede apostolica roboratam. Eapropter, dilecti in Domino filii, vestris postulationibus clementer annuimus, et regulam, quam pie recordationis Raymundus, magister vester, de communi consilio et volluntate capituli, salubriter ordinavit, et felicis memorie Euenius papa, predecessor noster, ut accepimus, confirmavit, auctoritate apostolica confirmamus. Fiduciam quidem habemus per Christum ad Deum ut, quemadmodum canonicis regularibus beati Augustini regula concessa est ad salutem, ita, vestram custodientes regulam, ad eterne beatitudinis premium pertingetis. Remedia pretera ad infirmorum curam, deliberatione provia constituta, videlicet ut in domo Hospitalis semper quatuor medici et totidem sint chirurgici, ad quorum dispositionem ea, que in cibariis aut aliis infirmis necessaria fuerint, ministrentur ; et alia plura, que in scriptis vestris redigentes utiliter ordinastis, nihilominus approbantes, revocari a quoquam sub interminnatione anathematis prohibemus, nisi forte augendo in meliusmutarentur. Nulli ergo, etc. Dat. Verone, II nonas novembris.
Lucius, etc. envoie son salut à ses chers fils, au Grand Maître Roger, et aux frères Hospitaliers de Jérusalem. Plus vous vous dépensez, par la grâce de Dieu, à assister les pauvres et soulager les malades, et de jour en jour développez vos oeuvres de charité, tendant vos efforts vers l'avant sans regarder en arrière, plus nous apprécions – sans réserve – votre esprit religieux et plus nous devons et voulons prêter une oreille favorable à votre requête conforme au droit et inspirée la foi, pour que vous vous attachiez avec d'autant plus de zèle à l'observance de votre régle que vous la saurez soutenue par l'autorité apostolique. C'est pourquoi, mes chers fils dans le Seigneur, nous recevons avec bienveillance votre requête, et la règle que votre Grand Maître Raymond, de pieuse mémoire, institua utilement sur décision et volonté commune au chapitre , et que le pape Eugène, d'heureuse mémoire, notre prédécesseur, a confirmée, comme nous le savons, cette règle nous la confirmons de notre autorité apostolique. Oui, nous mettons notre confiance en Dieu, par le Christ, pour que, de même que la régle du bienheureux Augustin a été donnée aux chanoines réguliers pour leur salut, de même vous, vous accédez à la récompense de la vie éternelle en observant votre règle. en observant votre régle ...Pour les rémèdes destinés au soin des malades, il est clair, après mûre délibération, qu'il doit y avoir à demeure dans l'Hôpital quatre médecins et autant de chirurgiens ; que doit être mis à leur disposition tout ce qui sera nécessaire aux malades en froment ou autre ; et n'approuvant pas moins les autres points que vous avez consignés dans votre lettre, nous interdisons à qui que ce soit, sous menace d'anathème, d'y changer quelque choses sinon pour y apporter des améliorations.
(Traduction de Mme Besson)

Il est fort probable, même si nous n'en avons pas de preuve absolue, que les médicaments étaient fabriqués sur place. En effet, parmi les fournitures que l'hôpital se faisait livrer, figure du sucre qui entrait dans la composition des sirops.

Statut du 14 mars 1182, promulgué par le chapitre général de l'ordre, sous le magistère de Roger de Molin (7).

Le prior de Montpelerin mande en Jerusalem II quintaus de sucre por le syrop, et les medecines, et les laituaires des malades.

 

 

Prior Montispellerini mitat in Jerusalem duo quintalia cucari pro conficiendis lectuariis, sirupis et alis medicinis ad opera infirmorum.

 

Des soins généraux apportés aux malades

Ils étaient à la charge des sergents ou clients. Ceux-ci faisaient les lits et les tenaient propres. Ils conduisaient les malades aux "lieux", ils apportaient de l'eau chaude, des essuie-mains, mais aussi du pain placé dans une corbeille et du vin coupé à boire. Chaque lundi et chaque jeudi, ils lavaient les pieds des malades avec de l'eau chaude et une pierre ponce, puis les essuyaient.
Les gardes de nuit étaient effectuées à tour de rôle par deux clients qui allumaient les lampes pour que les malades ne se blessent pas dans l'obscurité (la salle était éclairée par des lampadaires mais aussi par trois ou quatre flambeaux). Le premier client faisait sa ronde en tenant dans sa main gauche une chandelle de cire ainsi qu'une crosse et présentait au malade dans sa main droite un gobelet rempli de vin coupé à boire. L'autre client tenait, lui, une chandelle et apportait de l'eau dans un récipient de verre, ou de l'eau chaude dans un petit bassin ou dans un gobelet. Dès la fin des complies, une procession était organisée. Les frères marchaient en tête portant une lampe, les autres une chandelle. Cette procession avait pour but de surveiller la décence des comportements et de vérifier que tout était en ordre. Après quoi deux clients et deux frères effectuaient une ronde pour vérifier que tous les gardiens étaient à leur poste.
Si le travail était mal fait, le responsable était puni dès le lendemain. Le frère était condamné au pain et à l'eau pendant 40 jours et il était aussi privé des honneurs de la table, ce qui l'obligeait à manger par terre. Le client reconnu coupable de l'abandon de veille était battu nu, à travers le palais ; celui qui avait prononcé des paroles injurieuses subissait le fouet.
Pendant que les malades mangaient, un frère accompagné par un client passait dans les salles. Ils tenaient l'un et l'autre dans la main droite un encensoir et dans la main gauche des petits paniers emplis d'encens qu'ils offraient aux malades. Ces derniers étaient ensuite bénits.

Du soutien de la religion

Les malades avaient droit au soutien de la religion. L'ordre comprenait des frères clercs qui avaient aussi comme fonctions de rendre visite au malades incapables de se déplacer.

 

Règle de Raymond du Puy (1145-1153) :

du comportement des frères, du service des églises et de la réceptin des malades
« Lorsque le prêtre va visiter les malades, il doit être en vêtements blancs et porter religieusement le corps de Notre Seigneur tandis qu'un diacre ou qu'un sous-diacre ou du moins un acolyte le précède en tenant la lenterne avec une chandelle allumée ainsi qu'un goupillon avec de l'eau bénite ».


En cas de décès d'un malade, les prêtres ou frères clercs étaient chargés de transporter le corps au monastère voisin, où il était l'objet de soins comparables à ceux qu'on apportait aux frères défunts.

Document 3 : à propos des défunts (8)

14 mars 1182 : statut promulgué par le chapitre général de l'Ordre sous le magistère de Roger de Molin.

Apres escrist le siste chapitre que les bieres (9) des mors fucent en manire d'art cancelées ausi com les bières des freres, et soient couvert d'un drap rouge au croiz blanche

 

 

 

Postea precepi quod lecti mortuorum fiant ad modum unius archancele, sicut lecti fratrum defunctorum, et cohoperiantur uno cohopertorio rubeo cum alba cruce a parte superiori.

 

1177-1181 : Règlement de l'église de l'Hôpital de Jerusalem (messes et obsèques)

Et comamdement est que les cors des pelerins ou d'autres crestiens, qui apres l'ore [comune] de vespres trespasseront, qu'ils soient laissiez à entier jusques à lendemain en l'ospital où ils seront trespassez, ne gisent mie en la bière sanz lumiere. Et lendemain devant prime soient portez en terre ; les bieres des mors soient tele come les furent en Jerusalem.

 

 

Preceptum est ut corpora peregrinorum et christianorum aliorum defunctorum post convenientem horam vesperorum, non sepeliantur usque mane proxime diei sequentis, et in illo hospitali ubi defecerint non jaceant in lectis sine lumine. Quorum corpora deferantur ad ecclesiam ante primam, et post missam sepeliantur ; lecti vero mortuorum sint tales quales sunt illi de Jerusalem

 

 

Le règlement stipule que les corps des pélerins et autres chrétiens morts après l'heure des vêpres, ne soient pas portés en terre avant le lendemain matin ; que dans l'hôpital où ils seront décédés ils ne reposent pas sans lumière sur les lits funèbres ; que leurs corps soient transportés dans l'église avant prime et ensevelis après la messe ; les lits funèbres de ces morts doivent être semblables à ceux de Jérusalem.

 

Cependant, il ne semble pas que les frères Hospitaliers aient eu en charge les messes des défunts et les inhumations, autres que celles concernant les membres même de l'Ordre. La seule autorisation qu'ils possèdent de le faire ne concerne, semble-t-il, que les membres de l'ordre (10). Les corps des malades décédés étant transporté dans le monastère voisin, c'est sans doute là aussi que se déroulaient les cérémonies funèbres et les ensevelissements.

De la nourriture des malades

Le clerc anonyme donne de nombreuses précisions sur le régime alimentaire des malades. Ces derniers bénéficiaient d'une alimentation riche et variée, mais qui suivait les recommandations des médecins. Les achats étaient faits par les frères de salle qui recevaient une somme variant entre 20 et 30 pièces d'or.
Il y avait deux cuisines, l'une commune aux hommes et aux femmes, l'autre particulière.
La cuisine commune était le lieu de préparation des plats grossiers, comme la viande de porc ou de bélier, les dimanches, mardis et jeudis.
De la cuisine particulière, les lundis, mercredis, vendredis et samedis, provenaient des plats plus fins, des viandes (poule ou poulet, pigeons, perdrix, agneau), du pain d'épeautre, des oeufs, du poisson, des fruits (melons, citrouilles, grenades, poires, prunes, raisin, amandes, châtaignes, figues sèches), des légumes (laitues, chicorées, racines, pourpier, persil, ache, concombre), des plats de pois chiches, des plats faits de farine de froment. Le Frère chef de salle était chargé de prendre en note si le malade mangeait volontiers ou non. Dans ce dernier cas, d'autres plats lui étaient présentés. L'alimentation était intimement liée à la médecine et cela explique les changements de régime ou les combinaisons multiples d'aliments pour mieux lutter contre telle ou telle maladie.

Certains aliments n'étaient jamais proposés aux malades comme les fèves, les lentilles, les crustacés, les murènes et aussi les truies, car ils étaient tenus pour indigestes du fait de leur classement comme éléments humides féminins.

Les malades avaient droit au "privilège du pain blanc". Le clerc précise "un pain est commun à tous ceux qui demeurent dans la maison, l'autre qui contient la plus fine fleur de la farine, est fabriqué spécialement à l'usage des malades. Seuls les malades se nourrissent quotidiennement de ce dernier pain, ce dont personne, par souci de miséricorde, ne conteste le bien fondé".

Document 4 : le privilège du pain blanc (11)

Date 1176. Jobert, Maître de l'Hôpital, affecte les revenus de deux casaux de l'Ordre, ceux de Marie et de Caphaer, a assurer du pain blanc aux malades soignés à l'Hôpital de Jérusalem.

Le prevelige des malades por le pain blanc.
Au nom dou pere et dou fiz et dou saint esperit, amen. Sachent tuil cil qui sont et qui avenir seront, fiz de la saonte mere iglise, que je Jobert, maistre de l'Ospital de Jerusalem, par la bone volonté de touz nos freres et ygal assentement en audience de noustre comun chpistre, par devant la presence et tehmoing passion et de la resurrection noutre Seignor, ai doné et otroié en possession parmanable à nostres seignors benehurez, ce est à savoir as poures, et à frere Estienne, hospitalier au tens dou Xenodoche de l'Ospital de Jerusalem, et à frere Estienne, hospitalier au tens, et à lor successors qui venront apres eaus perpetuelment à touz jors, II caaus, se et à savoir le casal de S. Marie et Caphaer, por pain blanc qui lor soit doné tout tens, au toutes les possessions et les apartenances dedenz et defors ; et se par aventure avenist que le ble fausist es casaus ou ne poyst la soufraite des poures acomplir, dou tresor soit pris tant que l'on poyst acheter pain blanc et livrer as poures soufisament ; et se il avenoit que le froment des casaus fust mehlé d'aune male herbe, dou grenier de l'Ospital soit pris pur froment muy por muy, et en soient noz seignors les poures serviz soufisanment. Et por ce que cest don soit ferm et estable parmanablement, nos en avons fait seeler ceste chartre de noutre seel ; etse aucun desorenavant veule aler contre est saint comandement ou le veulle destorber, dampnez sit il avec Judas le traytor en dampnacion paramanable, aveuc Caym et Datan et Abilon, que la terre englouti, soit maudit de la maleyçon, amen.

 

Du soin sur le champ de bataille

Les Hospitaliers apportaient des soins aux blessés, dans leur campement, lors des combats. Le clerc anonyme évoque les tentes que les Frères faisaient dresser près des champs de bataille en guise d'hôpital de campagne afin d'y accueillir les blessés chrétiens. Des soins complets y étaient donnés et les blessés qui ne guérissaient pas étaient ensuite transportés à l'hôpital ou dans les refuges de l'hôpital les plus proches, sur des bêtes de somme (chameaux, mulets ou ânes) ou sur les montures des chevaliers, contraignant ceux-ci à revenir à pied.

Des soins donnés aux femmes


Dans l'hôpital des femmes, les malades, les femmes enceintes et les enfants étaient pris en charge par un personnel féminin. Une bulle du 22 août 1190 (12), donc légèrement postérieure à la date du témoignage du clerc anonyme, donne l'autorisation aux Hospitaliers de baptiser les enfants abandonnés à la porte de l'hôpital de Jérusalem ou nés dans les autres maisons de l'ordre. On ne sait donc avec certitude si ce texte vient entériner un état de fait ou s'il accorde un privilège nouveau.
es enfants abandonnés qui devaient être encore allaités, étaient confiés à des nourrices rémunérées et surveillées par l'hôpital. Le témoignage du clerc anonyme est très précis sur ce point. Les nourrices avaient l'obligation d'amener les enfants à l'hôpital où ils étaient examinés par les soeurs. Les autres enfants qui avaient besoin de bonne nourriture pour se rétablir restaient dans l'hôpital.

Le clerc anonyme : ..."Cependant, afin d'éviter qu'elles ne s'engourdissent à l'occasion de la garde qu'elles exercent sur les petits enfants [...] les nourrices sont tenues de les conduire fréquemment à l'Hôpital où les soeurs de la maison les examinent un à un avec une attention prudente et quasi maternelle et confient la garde [des enfants] mal élevés à d'autres nourrices".


Comme on peut le constater, l'organisation de l'hôpital présentait une grande complexité et fonctionnait aussi de manière très rigoureuse. Ces qualités faisaient déjà à l'époque la réputation de cet établissement.

 

II – Exploitation des sources.

L'étude du manuscrit du clerc anonyme a permis l'identification de statuts spécifiques au fonctionnement de l'hôpital. Parfois, une certaine confusion règne dans la description des rôles impartis à chacun, mais il est cependant possible d'en établir une répartition. Le tableau ci-dessous en est le résumé.

XENODOCHIUM DES HOMMES
Personnel membre de l'ordre
Fonctions
Personnel exterieur
à l'ordre - Fonctions

MAITRE DE

L' HOPITAL

il dirige les :
- frères clercs
- frères lais
- frères convers
 
FRERE HOSPITALIER

placé sous l'autorité du Maître de l'Hôpital

il dirige l'Hôpital :
- il reçoit le financement (1500 besans par an)
- il garde l'argent des malades
- il assiste à la rédaction des testaments des malades
- il réprime les infractions
- il inflige les peines
 
TRESORIER
- chaque semaine, il verse la somme nécessaire aux frères chargés d'acheter les nourritures délicates pour les malades
 
ONZE FRERES CHEFS DE SALLE
dirigent chacun une des onze salles ou rues* de l'Hôpital
- chacun possède l'autorité sur le personnel interne et externe de chaque salle et exerce un contrôle général sur le fonctionnement de sa salle
 
CARAVANIER
- il garde les vêtements des malades qui les récupèrent à leur départ
 
CUISINIERS
(existence hypothétique)
- ils travaillent dans la cuisine commune aux hommes et aux femmes Employés de cuisine (?)
Frères ?
ORGANISATION INTERNE A UNE SALLE
LE FRERE CHEF DE SALLE a l'autorité dans sa salle
FRERES DE SALLE - ils étaient rattachés à une salle pour exercer une fonction d'accueil, de surveillance en particulier des gardes qui étaient des clients
 
FRERES CLERCS - ils avaient en charge les messes, processions, communions et confessions
 
  - 12 clients ou sergents ou serviteurs désignés
Les clients sont au service des maladesmais s'occupaient aussi des frères Hospitaliers auxquels ils lavaient la tête, faisaient les barbes et coupaient les cheveux trop longs.
  - les médecins
- ils sont payés par l'Hôpital et sont aidés par deux clients lors de leurs visites aux malades.
  - les chirurgiens
- ils sont payés par l'Hôpital et prennent en charge les blessés au combat
  - les minuteurs
- ils ont chargés des saignées pratiquées à tout moment
  - les "bénévoles"
- des nobles pouvaient venir prêter assistance aux malades en leur apportant à manger et à boire

 

XENODOCHIUM DES FEMMES
Personnel membre de l'ordre
Fonctions
Personnel extérieur à l'ordre
Fonctions
Personnel d'origine indéterminée
Présence des soeurs :
- ce sont des matrones plus âgées
- ce sont des sages veuves
- des femmes vertueuses et religieuses
Les nourrices
- elles sont rémunérées et surveillées chez elles
- elles reçoivent de la nourriture (9 rations lors des solennités)
Mention de servantes
CUISINE COMMUNE AUX HOMMES ET AUX FEMMES


Ce tableau permet de mieux synthétiser les informations pratiques. Ainsi apparaît une organisation faiblement hiérarchisée.

Au niveau supérieur se trouve le Frère Hospitalier. Il gère l'hôpital. Il en contrôle le budget. On peut supposer aussi qu'il s'occupaient des rétributions versées aux personnels salariés (clients, médecins, chirurgiens...), à moins que celles-ci n'aient été à la charge exclusive du trésorier. Le Frère de l'Hôpital exerce aussi une autorité morale comme en attestent ces fonctions de répression. Les peines qu'il est autorisé à infliger sanctionnaient sans doute les fautes commises par les frères autant que par les clients (défaut de garde par exemple).
Au niveau immédiatement inférieur se trouve une organisation horizontale qui se calque sur l'organisation même de l'hôpital. La cellule de base est la salle (onze en tout), dirigée par un frère de salle. Celui-ci semble avoir eu à ses ordres un personnel de salle chargé (mais pas seulement) de s'occuper des malades : préparer les lits, nourrir les patients, les mener aux toilettes, veiller sur eux...
Cette organisation à très faible hiérarchisation reproduit un système communautaire. Déjà à l'époque de Gérard (1099-1113), aucune organisation clairement hiérarchisée n'est attestée, lors qu'après la fondation de l'Ordre en 1113, la charge de l'hôpital incombe aux frères. Il semble donc que cette caractéristique ait persisté. Cependant, certains frères avaient une fonction bien spécifique comme le trésorier et le caravanier comme c'est aussi le cas au sein d'un monastère, sans pour autant qu'aucune forme d'autorité ne soit associée à ces activités.


L'organisation de l'hôpital semble mettre en évidence une division très nette des fonctions entre frères et employés. Il apparaît ainsi que les premiers étaient moins en charge des malades qu'on se le serait imaginé et semblent avoir surtout exercé des fonctions de contrôle et d'autorité. En définitive, les tâches les plus pratiques, voire les plus triviales, étaient entre les mains d'un personnel salarié tandis que la gestion et /ou les rôles de direction et de surveillance étaient dévolus aux frères. A l'époque de Gérard, c'était aussi le cas puisque les Bénédictins avaient confié la charge de l'hôpital à des employés, dont Gérard faisait partie d'ailleurs. Le personnel salarié mentionné par le clerc anonyme était nombreux. Si on suit les indications chiffrées, on compte déjà 132 clients auxquels on peut rajouter les 8 spécialistes que sont les médecins et les chirurgiens. Pour les frères de l'Hôpital, on atteint le nombre de 14 personnes attestées précisément - le frère de l'Hôpital, le trésorier, le caravanier et les 11 frères de salles – auxquels il faut ajouter les frères clercs non dénombrés. Les autres personnels ne sont ni identifiés clairement (frères de l'Hôpital ou personnel extérieur remplissant les fonctions de cuisiniers par exemple) ni dénombrés. A aucun moment, la mention n'est faite de serviteurs qui auraient pu avoir en charge le nettoyage des salles ou encore celui du linge, ce qui semble pourtant être une nécessité. Même sans cette précision, la description du clerc anonyme met en évidence la disproportion numéraire entre les membres de l'ordre et les personnels extérieurs rattachés à l'hôpital. Les Hospitaliers auraient-ils accordé moins d'importance à l'accueil des nécessiteux, pélerins et malades, fonction qui pourtant a été à l'origine de la fondation de l'hospice, à l'époque de Gérard ? Certainement pas. Au contraire, la rigoureuse organisation de l'hôpital montre le grand cas qui était fait des malades. Et les frères ne regardaient pas à la dépense pour leur bien être et leur santé. Il est cependant possible que les exigences stratégiques d'alors aient monopolisé plus de forces militaires dans les opérations de défense des états latins, conduisant les Hospitaliers à faire appel à une main d'oeuvre extérieure à l'ordre mais rémunérée par celui-ci pour prendre soin des malades, qui demeuraient « leurs seignors » .

Bibliographie

BELTJENS., Alain, « Le récit d'une journée au grand hôpital de Saint-Jean de Jérusalem sous le règne des drniers rois latins ayant résidé à Jérusalem, ou le témoignage d'un clerc anonyme conservé dans le manuscrit Clm 4620 de Münich », Bulletin numéro 14 de la Société de l'Histoire et du patrimoine de l'Ordre de Malte, 2004.
DELAVILLE LE ROULX, Le Cartulaire de l'Orde de Saint-Jean de Jérusalem, 1904.

Catherine Lagier - Oriabel
Pour les Guerriers du Moyen Age

1 - Le premier a été construit entre 1063 et 1071 sur l'initiative des Bénédictins du monastère des Latins. C'est ce bâtiment qui a ensuite été l'objet d'agrandissements par Gérard, fondateur de l'ordre de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, entre 1099 et 1113.
2 - Cet anonyme a rempli les fonctions de client qu'il appelle lui-même sergent. Ce terme apparaît dans la règle de Raymond du Puy, mais aussi dans un des statuts de Rogers de Molins, daté de 1182. A cette date, il y a neuf sergents par salle [« ...fu adjoint en chapitre general que, en chascune rue et place de l'Opital où les malades reposent, que IX sergent soient prest à lor servise qui lavent lor piés bonement, et les eissuient de dras, et facent lor liz... »]. Le clerc anonyme en évoque 12. Ce détail pourrait peut-être permettre de réduire la fourchette chronologique. Il est alors possible que le clerc ait séjourné entre 1177 et 1182, date à laquelle le nombre de sergents aurait peut-être été réduit.
3 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, p. 62-68.
4 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, p. 426.
5 - Dans le midi de la France, la cane est aussi une unité de mesure. Elle correspond à 2 mètres environ.
6 - : Des frères qui se conduisent mal : «  ...en outre nous défendons aux frères de battre les sergents qui sont attachés à leur personne, quels que soient la faute ou le péché que ceux-ci auront commis... »
7 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, p. 427.
8 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, p. 426.
9 - Il faut entendre le mot de « bière » non pas au sens moderne du terme mais au sens de lit funèbre, lit d'exposition du mort.
10 - Le pape Lucius III donne l'autorisation au maître Roger de Molins, par la bulle datée du 12 décembre 1183, d'enterrer les morts dans les cimetières de l'ordre et de célébrer des messes pour les défunts. Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome 1, numéro 705.
11 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, tome 1, p. 339-340.
12 - Delaville le Roulx, Le Cartulaire, Tome I, numéro 898.