Milice
communale de Saint-Maur-des-Fossés,
Essai de reconstitution
d'après l’ordonnance prise par l’abbé
Pierre de Chevry
le 23 septembre 1274
Présentation du projet
L’objectif
est de procéder à la reconstitution de la milice
urbaine/rurale de Saint Maur des Fossés créée
par l’abbé Pierre de Chevry en septembre 1274
pour protéger le bourg.
La composition de la milice est régie par une ordonnance
précise qui laisse peu de place aux choix personnels
tant dans le statut que dans l’équipement de
ses membres. L’analyse montrera le bien fondé
de la répartition des équipements.
En ce qui concerne le costume « civil »
qui lui n’est pas décrit, il est possible d’extrapoler
à partir de sources du « circum parisus »
de l’époque telles que la Bible de Maciejowsky
ou le Psautier de Saint Louis (sans pour autant se limiter
à ces sources données à titre d'exemples…)
I- Bref
aperçu de l’histoire locale
La ville de Saint-Maur et ses environs dépendaient de
l’Abbaye de Saint-Maur. La fondation de celle-ci remonte
à 639, sous la régence de la reine Nanthilde (veuve
du Roi Dagobert). Toute une communauté de moines y était
installée et la première église fut dédiée
à la Vierge et aux apôtres Pierre et Paul. L'abbaye,
désignée alors sous le vocable de Saint-Pierre-du-Fossé,
bénéficia des biens et privilèges de l'évêque
et du Roi.
Le culte des reliques de Saint-Maur naquit en 1137, année
de grande sécheresse. Le clergé eut alors l'idée
de porter le corps de Saint-Maur en procession. La pluie tomba,
le culte était né. D'autres miracles eurent lieu
et l'abbaye devint un lieu de pèlerinage comparable à
Lourdes aujourd'hui. On venait y prier de toute l'Europe pour
guérir la goutte ou l'épilepsie. Il faudra cependant
attendre 1281 pour que l'abbaye soit connue sous le seul nom
de "Saint-Maur-des-Fossés". La ville prit de
l’importance. Hors du bourg se trouvaient l'abreuvoir,
le lavoir, les moulins et le port. Un marché s'y développa
même, au XIIIème siècle : on y vendait pain,
fruits, légumes, vin et bestiaux. On pratiquait également
la pêche dans la Marne1 Les alentours comprenaient quelques
fermes dispersées dans la plaine, dans les lieux-dits
de Champignol, du Mesnil et des Piliers ainsi que quelques maisons
situées près des bacs de Chennevières et
de Créteil.
II- Création de la milice
Le propriétaire terrien, seigneur médiéval,
soumettait à son ban ceux qui résidaient sur ses
terres. En région parisienne, les guerres privées
étaient prohibées par le Roi. De plus la proximité
de son autorité garantissant la paix, les tâches
militaires se résumaient donc à des besognes de
police.
Dans ce contexte de sécurité relative, le pouvoir
militaire du seigneur était donc purement défensif.
Il était le plus souvent tourné non pas vers un
envahisseur extérieur, mais vers des bandes de trublions
que l’abbé Pierre de Chevry qualifie de « delinquantes
et malignantes ».
Pour protéger le bourg menacé régulièrement
par ces bandes, l’abbé ordonna à la population
de s’armer sous quarante jours. Il prit pour cela l’ordonnance
du 23 septembre 1274.
La milice n’est donc pas composée de militaires,
mais de civils qui rendaient un service armé.
C’est la raison pour laquelle l’équipement
reste sommaire, loin derrière celui des soldats de métiers.
III- Composition
de la milice selon l’ordonnance du 23 septembre 1274
Ce texte détaillé
a servi de support à plusieurs auteurs pour illustrer
la composition et l’équipement de la milice (notamment
G. Duby, D. Nicolle, A. Terroine,…). Toutefois, les disparités
et les oublis d’une publication à l’autre
ont nécessité une nouvelle traduction.
1274,
23 septembre.
[LL 48, fol. 4 ; LL. 46, fol. 190 v° ;
Tapon, p. 323] Anno Domini
M° CC° LXX° IIII°, frater Petrus, abbas
istius ecclesie, precepit omnibus hominibus dicte ville
Fossatensis ut quilibet ipsorum, infra XL dies, propter
defensionem ville predicte contra vires malignantium seu
delinquentium, haberet arma sufficienter secundum quantitatem
facultatum suarum, videlicet :
Dans l'année
du seigneur 1274, frère Pierre, abbé de
cette église, pria tous les hommes de la ville
dite des Fossés pour que quiconque parmi eux, sous
40 jours, à cause de la défense de la ville
précitée contre des hommes se comportant
méchamment ou étant en faute, eussent des
armes suffisantes en quantité selon leurs possibilités,
c'est-à-dire évidemment :
Illi
qui habebant valorem LX librarum et amplius haberent loricam
vel hauberjons et capella de ferro, spatam3 sive ensem
et cultruni ; et inverti fuerunt taies circa XIIeim ;
Ceux qui
ont la valeur 60
livres et plus auraient un haubert (lorica ?) ou
un haubergeon et un chapel de fer, une épée
ou un « ensis » 5 et un grand couteau6
et invariablement ils seraient ainsi aux environs de 12.
Habentes
autem valorem XXX librarum et amplius haberent tunicas,
gambesatas sive gambesonos et capellum ferreum, ensem
et cultellum ; et inverti fuerunt LIII
Quant à
ceux qui ont la valeur de 30 livres et plus , ils auraient
des tuniques gamboisées ou des gambisons, et un
chapel de fer, un « ensis » et un
petit couteau ; et invariablement ils seraient 53.
Illi
vero qui habebant X libras et amplius haberent galeram
sive capellum ferreum, ensem, furcham ferream et cultellum
;
Ceux qui
vraiment ont 10 livres et plus auraient un bonnet
de peau ou un chapel de fer, un « ensis »,
une fourche ferrée et un petit couteau.
Alii
vero qui minus habebant, haberent arcus, sagittal et cultellum.
Ceux qui
vraiment ont moins, auraient un arc, des flèches
et un petit couteau.
Et
facta fuit ostensio eorum predictorunx in varenna juxta
carrerias, presente dicto abbate, coram eodem, presentibus
ibidem sacrista, elemosinario et cenario, monachis dicte
ecclesie et', tota familia dicti abbatis, pluribus hominibus
de Varenna, de Champeigniello, Champeigniaco et Nogento
et pluribus aliis qui voluerunt interesse.
Et la démonstration
de ce qui avait été dit fut faite dans les
carrières de la proche Varenne, en présence
du dit abbé, de sa pupille, et également
en présence du sacristain, de l'élémonisaire,
du cellerié (responsable du cellier et de la vaisselle),
des moines de la dite église et de toute la « famille »
(sa suite, son entourage) du dit abbé de plusieurs
hommes de Varenne, de Champeignielle (Champignolle), Champeignac
(Champigny) et Nogent et de plusieurs autres qui ont voulu
y être.
Et
proclamatum fuit ibidem ex parte dicti abbatis ut quilibet
de armatura sua quam ibi ostendit vel meliori ex tune
teneret se munitum, et quocienscumque, tam de die quam
de nocte, clamor levaretur pro vi, insulto, vel alia aliqua
necessitate ville, seu alicujus, omnes surgerent et juvarent
illum sive illos qui indigerent, armis suis predictis
premuniti.
Et il fut
proclamé de même, en partie par le dit abbé
que quiconque en ce qui concerne sa milice armée
qu'il expose alors, ou bien quand le meilleur d'entre
eux se tient sur le rempart, et quel que soit l'endroit,
tant de jour que de nuit, sonne l’alarme, ou bien
à quelqu'autre moment dès qu’il le
sera nécessaire pour la ville, ou pour une personne,
tous surgiraient et aideraient celui ou ceux qui en auraient
besoin, pour les protéger avec leurs armes susdites.
Et
facta fuerunt predicta, anno Domini [fol. 4 V]° M°
CC° LXX° IIII°, die dominica ante festum beati
Michaelis archangeli.
Ces choses
dites furent faites, dans l'année du seigneur 1274,
le dimanche avant la fête du bienheureux archange
Michel.
Pierre de Chevry
|
Nota :
Par « couteau » et « grand
couteau » on retiendra par analogie une « dague »
XIIIème comme celle montrée dans l’iconographie
ou un couteau au sens commun du terme (le terme de dague n’apparaît
qu’au XIVeme).
Nota :
Le terme de « ensis » recoupe une typologie
d’armes mal définie. Une recherche sur le terme
précis tel qu’il est utilisé montre qu’il
peut être traduit par glaive. Toutefois, il ne s’agit
pas ici du « gladius » qui est l’arme
du légionnaire romain et dont le nom « glorieux »
a été repris par les milites à partir du
XIIème pour parfois désigner leur lance ou leur
épée.
Il s’agit en fait d’une lame plutôt courbe,
tranchante sur un côté, vraisemblablement plus
courte qu’une épée et assortie d’une
poignée en bois/garde (capula).
Sed aevis serioribus hoc verbum ensem curvatum ex una parte
acutum designat.
Gladius seu ensis est ferramentum quod consistit ex lamina acuta
atque capulo.
Il s’agirait donc d’une alternative moins disante
à l’épée classique qui resterait
(pour cette dernière) l’exclusivité d’un
niveau de richesse important et d’un statut social. On
retrouve d’ailleurs « ensis » en
alternative à « spatha » dans le
premier statut de l’ordonnance, et seul pour les statuts
plus modestes (sauf l’archer) ce qui confirme cette approche.
Au XIIIème, cette arme peut être assimilée
un faussard, ou à un fauchon ou fauchard. Les Anglais
retiennent le terme de "chopper" qui correspond peu
ou prou à tranchoir, trancheur.
De nos jours, ce terme perdure encore à travers « ensis »
qui est un coquillage en forme de couteau courbe, et « ensiforme »
qui signifie en forme de lame.
Tableau
comparatif des équipements selon l'ordonnance
60
livres et plus |
A partir
30 livres |
A partir
de 10 livres |
Moins
de 10 livres |
12 sujets
de l’abbaye
Haubert (lorica) ou haubergeon
chapeau de fer
épée seule
ou
ensis et grand couteau
|
53 sujets de l’abbaye
gambison ou cotte gamboisée
chapeau de fer
ensis et petit couteau
|
Pas de protection de
corps
chapeau de fer ou chapeau de peau (cervelière de
cuir ?)
ensis et petit couteau
1 fourche ferrée
|
Pas de protection de corps
Pas de protection de tête
arc
flèches
petit couteau
|
IV- Fonctions de la milice
Elle
est double :
- Assurer la paix publique contre
les périls extérieurs et intérieurs.
- Rejoindre l’arrière-ban
de l’ost du roi (levé pour l’ost).
Les membres de
la milice sont des combattants civils non professionnels
donc généralement mal entraînés.
Ils sont qualifiés de « mal armeis et tous
nus », ce qui témoigne d’un armement
défensif et offensif rudimentaire. Le cas particulier
de la milice de Saint-Maur était en fait représentatif
de l’équipement des milices urbaines dans le royaume.
Si la milice
était convoquée pour l’ost, il était
nécessaire de compléter l’armement lorsque
cela était financièrement possible. Ce rôle
incombait alors au seigneur local, à l’abbé
ou au capitaine.
Cette organisation
en milice était toutefois efficace dans sa fonction de
police car elle permettait aux habitants d’intervenir
armés en cas de menace immédiate. Les étudiants
(scholares) qui envahirent le bourg de Saint Germain en1278
menaçant de tout mettre à sac en firent l’amère
expérience : « consuetum fuerit in predicta
villa, quod quocienscumque vel quacumque hora fit insultus,
tam contra prepositum quam contra homines ville, quod omnes
veniant ad repellendum insultam et etiam deffendendum dominum
suum » (ouvrage de 1278).
V –
Fiches costumes des personnages à réaliser
Le costume civil est extrapolé à partir de la
composition du costume militaire qui donne alors le niveau de
richesse de la personne tel qu’il est fixé dans
l’ordonnance du 23 septembre 1274.
Fiche
de personnage à au moins 60 livres parisii
Composition du costume civil :
- Une chainse en lin
ou soie arrivant au genoux
- Une paire de braies
en lin ou soie
- Une paire de chausses
en laine ou lin
- Une tunique en lin
ou laine ou soie doublée arrivant aux genoux
- Un cale biparties
- Une ceinture
- Une bourse/aumônière
Composition de l’équipement milicien :
- Un chapel de fer XIIIeme
( casque "chapel", cervelière, nasal)
- Un haubert manches
longues arrivant aux genoux avec coiffe attenante.
- Un haubergeon (manche
courtes, mi-cuisses ou genoux) sans coiffe
- Soit une épée
à une main, soit un « ensis »
et un grand couteau
- Il faut comprendre
ici que soit l’épée se porte seule,
soit on porte faussard et couteau
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Proposition
de recréation : Colin d'Arc |
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Fiche
de personnage à au moins 30 livres parisii
Composition du costume civil :
- Une chainse en lin
ou laine arrivant au genoux
- Une paire de braies
en lin
- Une paire de chausses
en laine ou lin
- Une tunique en lin
ou laine arrivant aux genoux
- Un cale biparties
- Une ceinture éventuellement
- Une bourse/aumônière
Composition de l’équipement milicien :
- Un chapel de fer XIIIeme
( casque "chapel", cervelière, nasal)
- Un gambison ou cotte
gamboisée
- Un « ensis »
- Un petit couteau
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Proposition
de recréation : Bouchard Carnifex |
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Fiche
de personnage à partir de 10 livres parisii
Composition
du costume civil :
- Une chainse en lin
ou laine arrivant aux genoux
- Une paire de braies
en lin
- Une paire de chausse
en laine ou lin non doublées
- Une tunique en lin
ou laine non doublée arrivant aux genoux
- Un cale biparties
- Une ceinture éventuellement
- Une bourse/aumônière
- Un chaperon éventuellement
Composition
de l’équipement milicien :
- Un chapel de fer XIIIeme
Un chapel de fer XIIIeme [casque "chapel",
cervelière, nasal, ou bonnet de peau (cuir
bouilli ?)]
- Un « ensis »
- Un couteau
- Une fourche ferrée
|
Proposition
de recréation : Johanitus Barbitonsor |
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Fiche
de personnage jusqu’à 10 livres parisii
Composition du costume civil :
- Une chainse en lin
ou laine arrivant au genoux
- Une paire de braies
en lin
- Une paire de chausse
en laine ou lin
- Une tunique en lin
ou laine arrivant aux genoux
- Un cale biparties
- Une ceinture pour
y coincer les flèches
- Une bourse/aumônière
- Un chaperon
Composition de l’équipement milicien :
- Un arc
- Des flèches
- Un couteau
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Proposition
de recréation : Johan l'Anglois |
(en
cours) |
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VI –
Bibliographie
1.DUBY., Georges,
La Guerre au Moyen-Age, 1983
2.NICOLLE., David, French Medieval Knight 1100-1300.
3.QUICHEROT., J, L’Histoire du costume en France, 1875
4.RAYNAUD., Christiane, A la hache, 2002.
5.TERROINE., A, Un abbé de Saint-Maur au XIIIeme siècle :
Pierre de Chevry 1256-1285, 1968
6.La Bible de Maciejowsky (iconographie)
7.Le Psautier de Saint Louis (iconographie)
|