De retour de la Fête de la Musique !
Piffaro, pour ceux (même peu nombreux) qui nous lisent, pour toi, pour moi, tentons d’être aussi clairs et précis que possible, et pour cela, je propose de revenir sur quelques points:
Tout d’abord, mon intention n’est pas de dénigrer en bloc, ni les recherches, ni le travail de François Moser, me faudra-t-il le préciser ?... J’ose imaginer que non, bien sûr... mais si toutefois il le fallait, hé bien voilà qui serait chose formulée.
Mon intervention ici n’a comme justification que le fait que la vièle de F. Moser est annoncée comme un exemple de reconstitution issu de l’étude scientifique critique et approfondie d’une sculpture romane... du moins est-ce ce que la présence de la sculpture qui a servi de modèle et l’utilisation du vocable "reconstitution" laisse sous-entendre, à tort, et cela plus particulièrement encore en ce lieu.
Alors, comme je crois l’avoir distinctement fait ressortir dans mon précédent message, devant les options prises et les commentaires fantaisistes de l’auteur, ainsi que les méprises palpables sur le résultat de son travail, j’insisterai donc, en prétendant à nouveau qu’il ne s’agit pas là d’un instrument qui puisse être considéré comme une reconstitution.
Et, que la conception et la réalisation de cette vièle datent d’y il a plus d’un an ne change rien à l’affaire. De plus, sans autres précisions ou précautions dans la manière utilisée pour nous présenter la chose, comment aurions-nous pu deviner qu’il ne faut plus prendre pour argent comptant ce qui vient de nous être annoncé aujourd’hui comme le résultat d’une approche/expérimentation innovante ?... Et, dès lors, puisqu’à présent nous savons grâce à toi que nous devons tenir compte de ce facteur d’ancienneté (ancienneté toute relative quand même), posons la question: pourquoi F. Moser n'a t-il pas assorti la publication de cette première expérimentation, de celle différente et plus aboutie (donc supposée plus recevable) qui a suivi et à laquelle tu fais référence ?
En plus, à présent juste dévoilé, ce travail (ancien rappelons-le) nous est présenté comme le résultat d’une démarche innovante, une expérience également assez exceptionnelle, puisque menée avec un regard neuf sur un sujet et une période jusque-là plutôt délaissés ou ignorés par d’autres chercheurs.
Je veux bien revenir sur ce dernier point aussi, car, que je sache, les vièles des XIème et XIIème ont déjà fait l’objet de plusieurs études, elles-mêmes suivies de tentatives de reconstitutions recevables et nettement moins sujettes à caution que celle qui nous intéresse ici aujourd’hui. Je pense entre autres - et pour n’évoquer que des travaux français - aux vièles de Foussais et Maillezais (XIIème), à celles reproduites par Ch.Rault d’après un manuscrit du XIIème conservé au British Museum, à celles de Gargilesse, je pense aussi aux gigues de Moissac, (j’en oublie), et dans un autre registre à celles d’Olivier Pont qui proposent une sorte d’étonnante et néanmoins crédible et efficace synthèse de ce type d’instrument.
Que F. Moser se livre avec un «regard neuf» à des travaux d’archéologie expérimentale afin de retrouver des techniques préhistoriques, médiévales ou autres est une excellente chose et cela je veux bien l’entendre... qu’il nous fasse part des résultats de ses travaux sous la forme de démonstrations et de prototypes originaux, ce sera toujours chose très intéressante et enrichissante et de cela, je ne peux que me réjouir, mais de grâce, qu’il ne reconsidère pas le monde à sa façon comme il l’a fait ici pour cette vièle, et que dorénavant, il traite les sujets qu’il abordera avec modestie et moins de légèreté dans ses affirmations, comme celle-là par exemple:
«En considérant le catalogue des figurations de vièle établi par Lionel Dieu, nous nous sommes rendu compte que l’on pouvait répartir les vièles en deux catégories: celles qui ont une touche et celles qui n’en n’ont pas ! Pourquoi ? Je crois pouvoir y répondre
en affirmant que celles qui ont une touche ont une table en peau, et celles qui n’ont pas de touche ont une table en bois qui couvre aussi le manche».
Hé bien, souhaitons vivement que les «restitutions» de F. Moser concernant les instruments du chapiteau du cloître de Sainte-Foy de Conques (1140) que l’on pourra découvrir lors de l’expo. de Saint-Flour auront été abordées avec plus de circonspection! Verdict dans quelques jours !
*** Revenons sur la boucle de sorte que l’on ne pense pas que je réfute cette éventualité:
Oui, bien sûr, une boucle en "réemploi" en guise de cordier pourrait être envisagée... mais, voilà, le cordier qui figure sur la sculpture pourrait aussi être interprété de bien d’autres façons que celle de la présence d’une boucle, qu’elle soit de réemploi ou pas... et là où se fourvoie (et nous trompe) F. Moser, c’est quand il se raconte et nous déclare péremptoirement que ce qu’il a reproduit (à savoir: munir sa vièle d’une boucle de réemploi),
EST ce que lui a indiqué ladite sculpture, alors que celle-ci ne fournit absolument pas ce type d’information.
Il y a une quand même une énorme différence entre: prétendre reproduire un instrument à l’identique suite à l’observation scrupuleuse d’un document, et improviser une pseudo reconstitution en prenant ce genre de liberté.
Alors une boucle... au fond, pourquoi pas ?... mais en tout cas, pas là, et pas celle-là !
*** puis revenons à la touche :
Parvenir (après avoir dans son préambule habilement orienté le lecteur) à affirmer que la preuve que la table d’harmonie d’un instrument
EST en peau, parce qu’une touche rapportée est présente sur le manche, est une pirouette dont il faut avouer qu’elle est particulièrement difficile à gober !
*** et pour la table en peau ?
Nous nous rendons bien compte (voir son site) que la peau tendue sur une caisse de résonance, qu’elle soit en bois ou en poterie de terre cuite est (parmi d’autres) un champ d’investigation qui passionne ce chercheur et participe à l’originalité de ses travaux. Mais qu’il ne colle pas des peaux partout de manière systématique, et encore moins avec ce type d’argument, ce n’est pas raisonnable.
Qu’il expérimente afin d’étayer son hypothèse visant à démontrer que le collage d’une peau pourrait être plus efficace sur une couronne d’éclisse tuilée ("en gouttière") est intéressant en soi, mais devrons-nous craindre par la suite qu’il nous impose que l’origine des éclisses tuilées EST la preuve que les instruments concernés étaient munis de table en peau ?... Souhaitons que non, car ce serait bien ridicule.
*** à propos des échanges que nous avons eus F. Moser et moi sur le forum évoqué plus haut:
Tu as raison, il ne s’agissait pas du même instrument. Cependant, je me souviens parfaitement que la problématique était la même. Je me rappelle l’avoir mis en garde par rapport à sa manière de concevoir les choses, à ses méthodes, et avoir souligné l’état d’esprit avec lequel il est bon d’entamer ce type d’aventure. Je me souviens aussi avoir rencontré quelques difficultés à faire passer le message... d’ailleurs, je ne sais même pas s’il a été entendu.
*** en ce qui concerne le luthier de Saint-Chartier, désolé je ne vois pas de qui il s’agit. Il y a heureusement là-bas beaucoup de gens sérieux, mais il y a aussi nombre de margoulins.
Mais quel qu’il soit, ce luthier
«(…)décontenancé devant ....l'approche "rustique" de l'instrument(…)» a peut-être été décontenancé pour une raison opposée à celle que vous voudriez imaginer. Peut-être a t-il tout simplement été poli ?...
Plus sérieusement : qu’a t-il dit en substance ?... à défaut de savoir de qui il s’agit, j’aimerais bien connaître ses commentaires.
Au sujet de cette
«approche rustique», je dois dire que cela ne me satisfait pas. Je n’imagine pas que les musiciens et instrumentistes de la période Romane n’aient pas pu avoir les mêmes exigences que ceux qui leur ont succédé seulement quelque décennies plus tard. Les vièles de cette époque étaient beaucoup plus abouties que tu ne sembles le penser, d’autres que moi l’ont expliqué et démontré bien mieux que je ne pourrais le faire moi-même présentement. Les gens de cette époque savaient travailler, maîtrisaient de nombreux savoir-faire et avaient des technologies suffisamment avancées pour qu’à leur époque ils aient pu fabriquer des instruments de musique simples en effet, mais malgré tout «aboutis», au même titre que leurs outils, armes, objets usuels, objets d’Art, monuments, etc.
Quant à Evelyne, je ne suis pas surpris qu’elle trouve intéressants cette nouvelle approche et l’instrument qui en découle. Je ne dis pas cela avec ironie, en pensant qu’elle se serait prononcée ainsi parce qu’il s’agit du travail de son papa, mais bien au contraire parce que nous la savons tous passionnée par les instruments de musique, par les sons, comme le sont naturellement beaucoup d'autres bons musiciens. Ceci dit, cela ne fait pas pour autant de cette vièle un instrument digne d’être labellisé "exemple de reconstitution".
*** en ce qui concerne le rappel que j’ai fait de :
«Quelques données sommaires à propos de la touche des instruments à cordes munis d’un manche(…)»
tu me dis :
«Voilà un panorama d'éléments de lutherie tardive!(…)»
Ben non, pas précisément. Toutefois, je reconnais que, compte tenu de certains exemples d’instruments modernes que j’ai cités pour illustrer, j’aurais dû en effet préciser qu’il s’agissait dans cette liste non exhaustive, de généralités qui concernent tant les instruments d’avant le MÂ, que ceux du MÂ et enfin, ceux qui sont plus tardifs.