
Nous avons tous une vision du Moyen Age : le plus souvent celle d’une époque d’obscurantisme, où la science n’a pas sa place, où la terre est plate et où, à l’échelle familiale, l’enfant n’offre pas d’intérêt. Autant d’images, autant d’erreurs. À travers d’autres images, celles des enluminures des livres du Moyen Age, la vérité se révèle.
La terre : ronde ou plate ?
Non, les esprits "moyenâgeux" ne voyaient pas la terre plate comme une galette au beurre ! Les publications récentes fort nombreuses sur les enluminures ont au moins le mérite de remettre à leur place des certitudes sans fondement : "Tous les hommes de culture savaient parfaitement que notre planète est une sphère, indique Patrick Gautier-Dalché, coauteur de l’ouvrage Le Moyen Age en Lumière, et cela dans le sillage de la science antique dont les principaux acquis n’avaient jamais été oubliés."
À travers toutes les images exhumées, cet historien procède à une véritable réhabilitation de l’intelligence et de l’ingéniosité médiévale : les Grandes Découvertes ne sont pas non plus une irruption brutale des Temps modernes dans l’histoire, mais un des aboutissements logiques du Moyen Age.
Un bestiaire extraordinaire
Autre preuve, pour nos esprits d’aujourd’hui, de l’ignorance des hommes du Moyen Age : l’absurdité de la représentation de nombreux animaux. Bien sûr, il n’est pas question ici des monstres mi-hommes mi-bêtes ; leurs images ont souvent un but religieux, témoignant de l’horreur du mal à travers la monstruosité des traits. Non, ce qui est souvent rappelé pour dénigrer l’époque, c’est la croyance en des animaux fantastiques qui, en fait, n’existaient pas : la panthère médiévale, représentée avec des taches bien sûr, mais de toutes les couleurs, et dotée d’une haleine si suave qu’elle attire les autres animaux ; la licorne fabuleuse, qui aime à s’endormir dans le giron des jeunes filles vierges ; le dragon enfin, que le Moyen Age craint bien davantage que le loup…
Mais les dessinateurs ou les conteurs travaillaient à partir de récits de voyageurs sur des bêtes que personne n’avait vues de près autour d’eux. À partir de ces témoignages, ils extrapolaient pour tenter de deviner quelles créatures pouvaient vivre aux confins de la terre. Peut-on leur en faire reproche ?
Si nous rencontrons un jour des extra-terrestres, ne riront-ils pas de nos représentations actuelles, sans doute invraisemblables, des "petits hommes verts" de l’espace ? Quant aux dragons, les spécialistes de la préhistoire ont abondamment prouvé leur existence : après tout, la découverte, de temps à autre sous l’Antiquité comme au Moyen Age, du squelette d’un dinosaure ne serait-elle pas à l’origine de ces contes ancestraux ?
Une vision de la famille renouvelée
Autour de la famille, l’idée la plus fréquemment admise, à la suite de Philippe Ariès, est que le Moyen Age nie l’enfance, n’y accorde aucun regard ni aucune importance. Or, comme le souligne Pierre Riché, les historiens d’il y a vingt ans ne connaissaient presque rien de l’enluminure alors qu’elle procure pourtant près de 99 % du stock des peintures médiévales. Des centaines d’images peuvent illustrer un manuscrit carolingien ; un seul beau manuscrit du XVème siècle peut contenir plus de 4 000 images. Or, Philippe Ariès n’a travaillé que sur quelques dizaines…
Les études récentes menées tant par les archéologues que par les iconographes remettent en cause ces fausses vérités. L’enluminure retrouvée offre un panorama saisissant du mobilier de l’enfant, de ses jouets, de ses vêtements… "La puériculture apparaît partout, rappelle l’historien Pierre Riché dans son livre La petite enfance dans l’Europe médiévale : dans les livres de médecine, dans les œuvres narratives. L’allaitement, la manière de vêtir les petits, de les coucher au berceau, de les nourrir y sont quasi intégralement reconstituables.
Tous les accessoires sont présents et les images, prises en séries, permettent de découvrir la typologie du berceau, l’éventail des biberons, petits pots et cornes à boire le lait. On découvre par l’image et par elle seule qu’on n’habillait pas les enfants de la même façon en France ou en Italie, que le berceau médiéval berce à roulis en France mais à tangage en Italie, etc." L’enluminure montre ainsi, dessins à l’appui, que l’amour des enfants n’est pas né avec l’époque moderne. Une remarque qui sonne comme une évidence aux yeux de tous les parents.
Texte : Marie-Odile Mergnac