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Posté : ven. févr. 24, 2006 7:33 am
par thain
Pour un concours paru dans le journal 20 minutes, j'avais écrit une nouvelle en cinq épisodes sur Marseille.
j'ai bien entendu opté pour un épisode tragique de cette ville au Moyen-âge. J'ai pris quelques libertés avec l'Histoire et les termes employés, mais dans l'ensemble les données reflètent ce que nous en savons.
Je vous offre aujourd'hui le premier épisode. Les autres suivront peu à peu, si vous aimez le premier épisode.
Posté : ven. févr. 24, 2006 7:33 am
par thain
EPISODE 1
A l’embouchure du Lacydon, une journée de Novembre 1423… Avant que la haine des hommes et la folie des guerres ne se déchaînent sur une paisible ville de Provence.
-" Donne-moi une bonne lampée d’Hydromel, que je réchauffe mon corps glacé par le vent ".
Arnoul frissonne en cette froide matinée de Novembre, ses lèvres sont cisaillées par les lames acérées du Mistral. Trois jours déjà qu'il souffle. Il remonte son épais manteau de laine jusque sous son menton et rabat son capuchon par dessus sa cale. Une violente bourrasque le contraint à courber l’échine. " Qu’il fait froid, mais qu’il fait froid ! ", maugrée Jacques à proximité ; il bat de ses pieds le dallage de la Tour Maubert, dans l’espoir illusoire de se réchauffer. Un brasero sourit de ses yeux d’or sous le pâle soleil.
-" Tu sais Jacques, les nouvelles ne sont pas bonnes. Alphonse V vogue près d’ici avec une vingtaine de galères, et sa haine contre Louis III d'Anjou pourrait bien nous coûter cher. Il peut très bien choisir de ravager nos côtes, ou pire…"
-" Arnoul, toujours aussi pessimiste, corbeau de malheur ! Marseille est une ville puissante, les murs sont robustes et les cœurs vaillants. Regarde bien ces solides chaînes, forgées par les Six de la Guerre, réplique Jacques en embrassant d'un geste la ville et l'entrée de la rade. Et puis, connais-tu une armée qui n’hésiterait pas avant de se frotter au fer de ma lance ? ", répond Jacques ricanant, sa main gantée de cuir posée sur la pointe de son arme.
-" Peut-être… Mais notre meilleur contingent est en campagne, et nous n’avons aujourd’hui pour défendre la cité que quelques 350 hommes mal préparés et équipés. Combien de boucliers, d’armures, d’épées et de machines de guerre pourrions-nous aligner demain ? Trop peu je crains…"
-" Tu te trompes. Je compte bien me marier dès le Printemps prochain avec la petite Magali, la fille du drapier. Son père m’a d’ores et déjà promis sa main. Je ne laisserai aucun Roy, aucune armée, aucun trouble dans un pays lointain m’en empêcher. Cesse de jouer les mauvais augures, tu m'ennuies !", rétorque Jacques d’un ton sec.
Le ton au début badin de la conversation s’alourdit de minute en minute. La mer longtemps agitée s’est enfin calmée, seules quelques rides viennent maintenant troubler sa surface, les mêmes qui barrent le front soucieux d’Arnoul. Les Îles du Frioul, Ratonneau et Pomègues, scintillent dans le levant. Et derrière, l'aventure, les richesses des Echelles, les soieries et les épices…Ou le fauchard des pirates, se serait empressé de rajouter ce pessimiste d'Arnoul.
Jacques laisse vagabonder son regard, mélancolique. Mais un point noir au loin accroche soudain son attention. Un, deux, dix, vingt navires émergent de l'horizon. Les galères d'Alphonse V arrivent, elles sont sur nous !
Posté : lun. mars 06, 2006 2:55 pm
par grand inquisiteur
[img]kator/smiley14.gif[/img] [img]kator/smiley14.gif[/img] [img]kator/smiley14.gif[/img]et alors?
Posté : jeu. mars 09, 2006 11:06 am
par thain
EPISODE 2
-" C'est terrible ! La guerre est sur nous ! Arnoul, ton oliphant ! Sonne l'alerte ! Je vais de ce pas quérir le Capitaine. "
Jacques s'engouffre en courant dans l'étroit escalier. Il descend les marches quatre à quatre, sentant progressivement monter en lui une terrible excitation. Le bruit du cor le poursuit, le rattrape puis finalement le dépasse, jouant sur les murs, rebondissant sur les marches; un grondement de tonnerre annonciateur de la tempête proche.
En débouchant dans la salle de garde, Jacques heurte violemment à Thibaut, et le choc lui fait se mordre la langue. Le Capitaine se précipitait à sa rencontre, apparemment affolé et surpris, l'épée nue dans la main droite. "Heureusement qu'il tient toujours sa lame vers l'arrière, sinon j'aurais été sans nul doute la première victime de cette sale guerre", se dit Jacques.
-"C'est Alphonse, il est sur nous, il attaque !!! Il faut sonner l'alerte générale, et demander à tous les hommes de monter à la défense. Nous ne serons pas de trop pour les repousser."
Thibaut le regarde hébété. Il semble totalement dépassé par les événements. Le pauvre… A tout juste vingt ans, on lui demande d'organiser la défense du verrou Maubert, le point stratégique essentiel. Si la garnison faillit, la cité tout entière est fichue. Quel poids à supporter ! Trop pour cet enfant.
Jacques a compris que c'est sur lui, le Sergent, que repose la destinée de la tour. De telles circonstances, quand le vent tourne et les collines frissonnent, révèlent les grands hommes.
Jacques repousse violemment le jeune homme et commence à hurler ses ordres :
-"Jean, vas sonner la cloche d'alerte ! Thierry, vas barrer solidement toutes les portes ! Raoul, Nicolas, Godefroy, veillez à ce que les chaînes sont assujetties. Les autres, prenez une arme sur le râtelier et suivez-moi !"
En moins de cinq minutes, tout le monde est à son poste. Les remparts sont garnis au mieux, en espérant que l'habileté des archers et la hargne des hommes comblent les rangs clairsemés. Les galères approchent avec toute la force de leurs rameurs, elles s'abattront bientôt sur la ville. Les timides nuages de ce matin cèdent peu à peu le pas devant un ciel noir ourlé de feu.
Posté : lun. mars 20, 2006 9:38 am
par rolland de glabbecke
Tu veux vraiment te faire prier, hein !
TU VEUX BIEN NOUS METTRE LA SUITE, HEIN, DIS ?!?

Posté : jeu. mars 23, 2006 9:51 am
par thain
Tss. Un carreau vient de frôler en sifflant son oreille avant d'exploser contre une pierre du mur. Mais Jacques n'en a cure, son sang pulse si fort dans ses tempes qu'il n'a même pas perçu le sifflement. La mort est aujourd'hui la première de ses préoccupations mais le dernier de ses soucis. Jacques est partout : ici donnant des instructions pour charger la bombarde, là-bas coordonnant les tirs des arbalètes.
Les Aragonais entassent des fagots secs et y boutent le feu. Bientôt les flammes lèchent avec avidité les murs noircis par la suie. Tous les défenseurs savent trop bien ce qui va se passer : les premiers craquements vont se faire entendre dans une dizaine de minutes. Dans une vingtaine de minutes, les premières lézardes vont déchirer les parois de pierres comme du simple papier. Et au bout d'une quarantaine de minutes, c'est le pan entier du mur qui va s'effondrer. La marée noire s'engouffrera alors dans la brèche. La foule trop nombreuse culbutera les Marseillais et s'enfoncera jusqu'au mécanisme des chaînes.
-"Vite ! Ne traînez pas ! Eteignez moi ça ! Nicolas, au puit !" Heureusement, le ciel apporte son soutien inopiné : la pluie commence à tomber. Par trois fois, les Aragonais tentent de propager l'incendie, par trois fois les nuages viennent en aide aux assiégés. Si l'orage détrempe les corps, il réchauffe les cœurs. Tous commencent à espérer que la bataille est gagnée, que les hordes démoralisées fuiront bientôt.
Mais derrière les vagues désordonnées et successives, certains Aragonais, bien à l'abri en mer, scrutent de leur longue-vue le rivage. Ils ont remarqué un fait fort intéressant qu'ils se préparent à mettre à profit : sur la rive Sud, aucun homme, mais quelques embarcations abandonnées, dont un brigantin. Si la garnison de Saint-Victor ne réagit pas, quelle aubaine !
C'est décidé. Une nouvelle offensive va tenter de contourner les défenses marseillaises. Dix galères accostent dans l'anse des Catalans et débarquent des centaines de soldats. Saint-Victor reste totalement inactive. Les pleutres ne réagissent pas, à la grande surprise d’ Alphonse V.
Les navires arraisonnés prennent à revers la Tour Maubert. Sur deux fronts, la place forte ne peut plus tenir. Jacques sait déjà que tout est perdu. Il presse ses hommes de se replier. "Roger, Nicolas, renforcez la porte principale, barrez là avec ce que vous pouvez. Nous allons tenter une sortie par la poterne. La diversion nous fera gagner du temps ! Arnoul prends dix hommes avec toi et suis moi !"
A peine Jacques et ses hommes arrivent à l'extérieur que la marée humaine les submerge.
Posté : jeu. mars 23, 2006 9:59 am
par thain
EPISODE 4
Un puissant marteau de guerre s'abat sur le buste d'Arnoul. Il n'a pas pu réagir et a été projeté avec violence à plusieurs mètres, la cage thoracique brisée. Jacques hurle. La haine l'étreint, et une profonde envie de vengeance s'empare de lui. Ses mains serrent si fort sa lance que les articulations blanchissent.
Jacques charge, seul. Il charge, insensible aux coups. Il charge, s'enfonçant à travers les lignes ennemies. Irrésistiblement, il charge, droit, droit devant. Il culbute chaque homme entravant son chemin. Jacques est maintenant seul, mais il court toujours, droit devant, les larmes aveuglent ses yeux rougis par la fumée. Il trébuche, se relève, poursuit sa course folle, folle de douleur.
Deux camarades ont pu pendant ce temps tirer Arnoul à l'intérieur. La porte a été refermée de justesse, sur les doigts d’un soldat aragonais. Avec l'échec de la percée et la disparition du Sergent, l'affolement gagne tout le monde. Sans chef, les hommes ne savent plus se battre, et les actes de bravoure n'y suffiront pas.
Arnoul reprend peu à peu connaissance ; son agonie maintenant commence. Lentement, il porte la main à son ventre et sent un liquide chaud et poisseux; il ne sait que trop bien de quoi il s'agit. Un fin filet pourpre s'échappe de la commissure de ses lèvres gercées par les longues heures de garde. Le goût est à la fois salé et amer sous son palais.. "Alors, c'est ça, la saveur de la mort ?", s'entend-il soupirer.
Une quinte de toux arrache de ses entrailles meurtries un caillot de sang. La voûte tournoie et le perd dans ses entrailles de roc. Tout semble si irréel, à la fois si proche et si distant. Sa tête bourdonne à en exploser et sa vue se brouille. Le tumulte de la bataille n'est plus qu'une lointaine rumeur, presque apaisante. Le froid saisit ses chairs : il perd beaucoup de sang, trop de sang.
Des chocs sourds se font entendre, proches. Dans son délire, Arnoul est persuadé que les anges viennent le chercher; ils jouent du tambour pour accompagner son âme et effrayer les démons venus rôder près de lui. Les cloches sonnent à la volée, dans une cacophonie qui à ses oreilles chante sa funèbre mélopée.
La sérénité gagne peu à peu Arnoul; la lumière qui l'entoure l'isole déjà largement du monde. Le tunnel est sombre et l'or brille à sa fin. Le sol tremble, le rythme des tambours s'accélèrent et s'accompagne d'un chœur de cris. Un terrible craquement se fait entendre tandis que cesse l'angélique musique. Le bélier a fini de défoncer la porte.
Posté : jeu. mars 23, 2006 10:01 am
par thain
allez, hop, je finis :
EPISODE 5
Quatre jours ont passé. La ville pillée n'est plus qu'un champ de ruines. Après le départ des Aragonais, un fléau plus funeste encore s'est abattu sur Marseille : les pillards par centaines se sont rués vers le lieu de la bataille. Rôdant en meutes décharnées, les vautours en haillons ont disputé aux survivants les miettes éparpillées de mille vies détruites. Sang, meurtre, vol et viol ont signé par la plume rouge ce nouvel acte.
Jacques erre, hagard, hébété. Quand il a pu recouvrer sa lucidité, après sa charge héroïque, il se trouvait bien loin de la Tour Maubert. Il n'a pu qu'assister impuissant à la prise du bastion. Que faire ? Retourner à la ville, et aider à une dernière résistance. Les heures qui suivirent furent éprouvantes : il se rappelle avoir participé à l'érection de barricades, aidé à la remise des armes. La veillée d'armes fut émouvante et chaleureuse. Pourquoi faut-il trop souvent attendre les pires catastrophes pour voir les hommes s'entraider ?
Mais rien n'y a fait, les troupes d'Alphonse V étaient trop nombreuses. La plus puissante forteresse de sable, érigée avec courage et patience par un enfant, ne peut rien contre l'eau qui monte et elle sera emportée, irrémédiablement. La marée humaine se pressait devant les frêles fortifications, se fracassait par vagues successives et ininterrompues contre charrettes, tonneaux, pierres… La lune ce soir-là était de rouille et les étoiles trop pâles.
Jacques fut assommé par un coup porté à la tempe et perdit connaissance. Il doit à cette blessure sa vie. Dans un coma profond, il fut dépouillé de son équipement et laissé pour mort. Il ne s'est réveillé qu’hier, dans une ville désertée. Depuis, il vagabonde, perdu. Ses pieds gelés, aux stigmates violacés, lui donnent une démarche erratique. Sa mâchoire brisée le lance terriblement.
Il cherche désespérément Magali. Il a entendu dire que les femmes réfugiées dans les églises avaient eu la vie sauve. Pourvu qu'elle fasse parti de celles-là. Mais où peut-elle donc bien être ? A l'abri des collines ? Terrée dans une église, apeurée ? Ou tombée sous la lame rouillée d'un pillard ? Il a déjà perdu son ami, il ne veut pas perdre son amour.
Au loin sonnent des tocsins. Jacques tout à sa recherche ne les entend pas immédiatement. Mais les sons insistants et la fuite éperdue des pillards lui font prendre conscience que se joue bientôt certainement la fin de la guerre. Il se dirige en boitillant vers la porte d'Aix, où converge tous les Marseillais.
En troupe bien ordonnée s'avance le viguier Comte de Reillane. Jacques est déchiré par des sentiments contradictoires. Joie d'assister au dénouement de ce sanglant épisode, et rage de constater le retard intolérable des renforts. Enfin, la page se tourne aujourd'hui. Demain il faudra reconstruire et continuer à vivre.
Posté : jeu. mars 23, 2006 10:02 am
par thain
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Posté : jeu. mars 23, 2006 10:15 am
par rolland de glabbecke
Posté : ven. mars 24, 2006 5:03 am
par brunehaut
Très belle écriture, vivante et fluide.
Tous les événements sont décrits de l'intérieur, comme si tu les avais vécus toi-même...
Félicitations vraiment.
Et puis pas de faute d'orthographe, ah ça fait du bien parfois !
PS : Bon alors et Magali, qu'est-elle devenue ????
![special [img]kator/smiley129.gif[/img]](./images/smilies/smiley129.gif)
Posté : sam. mars 25, 2006 4:44 am
par mèlîye