mer. janv. 23, 2008 4:33 am
Je pense que les réponses à tes questions Pierre-Al sont éminemment politique, au premier sens du terme. Personnellement, ça fait longtemps que j'ai adopté le point de vue suivant: le patrimoine n'appartient à personne, ou plutôt, le patrimoine appartient à tout le monde. A partir de là, il faut que le patrimoine reste accessible à tous. C'est pour cette raison qu'il existe des lieux et entreprises publics destinées à la conservation, à l'étude et à la mise en valeur du patrimoine (en tout cas, en France). La privatisation du patrimoine entraîne forcément une aliénation de ce dernier. En donnant la possibilité à certains de s'attribuer des objets, de les privatiser, tu prends le risque de ne plus pouvoir les étudier ou les mettre en valeur, ce qui n'est pas le cas avec des collections publiques.
Privatiser le patrimoine, c'est enlevé aux populations le droit de découvrir, connaître et "posséder" son Histoire.
Une fois ceci exposé, il ne faut pas oublier que ce n'est qu'une idée politique et que comme toute idée politique, elle tient plus de l'utopie que de la réalité. L'application en est toujours plus pragmatique, et repose toujours sur une forme de négociation. Bien sûr qu'il existera toujours des collections privées et un marché de l'art et de l'archéologie à l'échelle internationale. Pour l'intégrer de manière positive, les Etats ont tout à fait la possibilité de légiférer pour protéger ce patrimoine privé, afin de limiter son aliénation. En Europe, il existe un certain nombre de dispositifs, et pas uniquement pénaux, qui vont dans ce sens: Journée du Patrimoine (qui incitent les propriétaires à ouvrir leur porte le temps d'un WE), système de classement au Monument Historique et au Service Régionaux de l'Archéologie (il existe divers degrés de classement des sites archéo), etc... Tout ceci est très bien tant que les propriétaires et les collectionneurs privés jouent le jeux. D'ailleurs heureusement qu'ils existent, parce qu'ils offrent aussi les moyens de financer tout ça (avec une petite aide de l'Etat pour l'immobilier classé au MH).
Moi, ce qui me pose un problème, c'est le risque qui repose derrière tout ça. Sans intervention de l'Etat (législations et son application, etc...) dans la gestion du patrimoine historique, le principal risque est que tout ce beau patrimoine destiné au plus grand nombre tombe dans la poche d'une petite minorité. Et là encore, c'est quand même largement politique, et de surcroît, c'est la politique du moment. Ca fait 10 ans que s'accumulent les lois permettant la libéralisation du patrimoine en France.
Je vais être clair, personnellement je suis contre. A plusieurs égards, d'abord principalement, de manière très terre à terre, parce que l'étude et la mise en valeur du patrimoine pour le public, c'est mon métier, ensuite parce que je ne pense pas qu'à grande échelle le passage par le privé de mobilier archéologique permette l'enrichissement de la connaissance. Un objet archéologique seul ne vaut rien en terme de connaissance. Favoriser la recherche (le pillage) d'objet archéologique, favoriser un marché de l'objet archéologique, c'est faire faire perdre une grande partie du sens et donc des connaissances dont le mobilier est porteur. (ce qui, au passage Pierre-Al, est beaucoup moins vrai pour les sources écrites). Bref, favoriser la privatisation du patrimoine, c'est favoriser l'appauvrissement du potentiel de savoir sur les sociétés du passé.
Maintenant, si vous ne comprenez pas l'intérêt d'augmenter nos champs de connaissances sur le passé, si vous ne comprenez pas l'intérêt qui repose dans la transmission de ces connaissances au plus grand nombre, vous devriez peut-être vous remettre en question quand vous dites vouloir faire de la reconstitution historique à destination d'un public.
Le monde est déjà saturé de passé, à tel point que le présent peut à peine y trouver ça place (L. Olivier/Le sombre abîme du temps)