Evocation d'un valet chandelier

Les sources

Cet article est le résultat de recherches menées sur le métier de fabricant de chandelles, au XIIIe siècle dans le Bassin Parisien. Il présente les quelques sources historiques disponibles et propose l’évocation d’un artisan.
 
L'utilisation des chandelles nous renvoie à une époque où l'éclairage intérieur des demeures était principalement assuré par les ouvertures aménagées (fenêtres rarement dotées d'un vitrage coûteux et portes) et par le foyer ou la cheminée (utilisés pour la cuisine et le chauffage). La lumière du jour parvenait faiblement dans les différentes pièces de l’habitation, surtout dans les maisons citadines mal orientées ou situées dans une rue étroite et sombre. Si le travail cesse en général avec la tombée de la nuit, certaines activités se déroulent en soirée à la lueur des indispensables lampes et chandelles (Figure 1). .

1- Un statut professionnel bien défini


 
Le chandelier fabrique et vend des chandelles. A Paris, l’attestation du métier de « Chandeliers et Huiliers » est ancienne. La première mention d'organisation de la profession se trouve dans une lettre patente de Philippe Ier, datée de 1061, qui institue le métier comme jouissant du bénéfice de « regrat »[1]. Le roi permet ainsi aux chandeliers-huiliers de vendre :
 
 « toutes denrées, comme beurre, graisses, légumes, foin, pailles, cotterefts, fagots, oing huiles à brûler, d'olives, grains,& autres généralement quelconques denrées & marchandises sujettes à Regrat & détail à petits poids & mesures feulement marquées & étalonnées »[2].
 
Cette diversité de produits autorisés à la vente disparaît ensuite dans le règlement de 1268 extrait du Livre des Métiers d’Étienne Boileau[3]. Les chandeliers sont alors traités à part des huiliers et la marchandise évoquée dans les statuts ne concerne alors plus que les chandelles. Boileau fournit aussi des informations pratiques sur les conditions d’exercice du métier. Ainsi, pour devenir chandelier de suif à Paris, il faut avoir été apprenti pendant 6 ans[4] auprès d'un maître. Ce dernier ne peut avoir qu'un apprenti et en plus de ses enfants. L’apprenti travaille dans l'atelier mais peut aussi aller fabriquer des chandelles chez un bourgeois parisien. Il doit alors être accompagné de son maître. Ce dernier peut aussi employer autant de valets qu'il le souhaite : ce sont des ouvriers du métier qui vendent leur force de travail à un maître pour une durée déterminée (jour, semaine, mois, année...). Ils pourront faire les colporteurs en vendant les chandelles dans la rue à raison de deux valets au maximum par atelier (Figure 2). S'ils ont  6 ans de métier au minimum, eux aussi peuvent aller fabriquer des chandelles chez des particuliers. Sinon, les clients viennent s'approvisionner directement à la boutique (Figures  3 et 3 bis).

[1] Regrat : vendeur de menues denrées
[2]Source : Recueil des statuts, arrêts et sentences, servant de réglement à la communauté des maîtres chandeliers, & des maîtres huiliers de la ville & fauxbourgs de Paris, 1760, pages 1- 2.
[3]Ibid, pages 3-5.
[4] Mais il n'est pas obligatoire d'avoir fait son apprentissage dans la capitale. 


Figure 2

Figure 3 

Codex Vindobonensis, series nova 2644, Tacuinum sanitatis, 1370-1400, Autriche, Vienne, Österreichischen Nationalbibliothek

Figure 3bis 

Des contraintes pèsent sur le maître chandelier. Il est soumis à une production de suif de qualité, contrôlée par quatre jurés du métier choisis par les chandeliers eux-mêmes. Il doit des taxes prélevées sur la fabrication et en tant qu'habitant de la ville il est soumis à l'obligation du guet. 

 « Li Chandelier de fuis de Paris doivent toutes les autres coustumes, que li autres Bourgeois de Paris doivent au Roi, guet & taille » [1].

[1]  Les Métiers et Corporations de la ville de Paris, XIIIe siècle, Le Livres des Métiers d'Etienne Boileau, publié par René de Lespinasse et François Bonnardot, Paris, Imprimerie Nationale, 1879, Titre LXIV, pages 132-134.

Dans la publication d'une notice datée de 1818 [1], les chandeliers de Paris seraient placés depuis le XIe siècle sous la protection de Saint Nicolas et de Saint Jean. La découverte dans la Seine de médaillons en plomb du XVIe siècle, étudiés par Arthur Forgeais[2], confirmerait cette hypothèse. Saint Jean y figure sur une et des chandelles sur l'autre. Le rapprochement entre les chandeliers et Saint Jean tient à un épisode de la vie de ce dernier : Saint-Jean est plongé dans un bain d'huile bouillante dont il ressort rajeuni. On peut supposer qu'à l'instar des forgerons, les chandeliers l'invoquaient pour se protéger des brûlures.

[1] Aubin-Louis Millin, Cellerier et Dom Michel-Jean-Joseph Brial, Notice relative à la découverte d'un tombeau qu'on croit être celui du roi Pépin, Paris, Impr. de Le Normant, 1818.
 
[2]https://books.google.fr/books?id=YX8OAAAAQAAJ&lpg=PA61&dq=confr%C3%A9rie%20chandeliers%20saint%20jean%20le%20rond&hl=fr&pg=PA60#v=onepage&q=confr%C3%A9rie%20chandeliers%20saint%20jean%20le%20rond&f=false

2 – Un produit bien règlementé


La chandelle se compose d'une mèche centrale enrobée d'un combustible, généralement une graisse d'origine animale comme le suif. Elle se distingue de la bougie, faite en cire (Figure 4). En 1464, un règlement  de la communauté des maîtres chandeliers-huiliers de Paris, confirme un plus ancien statut et précise que le suif peut être de mouton ou de bœuf. La mèche, elle, doit être de « cotton comme d'estoupes »[1].

[1]Source : Recueil des statuts, arrêtés et sentences, servant de Réglement à la Communauté des Maîtres Chandeliers & des Maîtres Huiliers de la Ville & Fauxbourgs de Paris, 1760, page 135.

Figure 4 : la bougie est facilement reconnaissable à la couleur jaune de la cire.

La date d’apparition de la chandelle demeure inconnue mais ce mode d’éclairage appartient à la longue tradition de l'utilisation de graisse animale comme combustible. La chandelle a l'avantage de ne pas avoir à être alimentée ni entretenue et elle présente également moins de risque d'incendie. Mais l'éclairage au suif produit une fumée noire et malodorante. Sa flamme vacille régulièrement et la chandelle coule dès qu'il fait un peu chaud en produisant des taches de graisse.

Lampes à huile et chandelles coexistent au XIIIe siècle comme le montre le mobilier archéologique retrouvé à Saint-Denis (93)[1]. Les bougies sont également connues à cette époque, mais elles semblent réservées aux plus riches et aux lieux de culte car la cire est plus onéreuse que la graisse.

[1]Lefèvre Annie, Meyer Nicole. Les lampes en céramique des fouilles urbaines de Saint-Denis., Archéologie médiévale, tome 18, 1988. pages 73-111.

L'expérimentation

Elle exploite la découverte à Fosses [1] d’un abysme à chandelles (Figure 5) dont l'usage s'est maintenu jusqu'au début du XXe siècle [2].

L’abysme utilisé pour l’expérimentation (Figure 6) a été fabriqué par « Parchemin et par pot » : http://www.parcheminetparpot.com/.

[1]https://jpgf.org/bac-chandelle-abysme/
[2]https://www.youtube.com/watch?v=2sMDQzQ8lyk

abysme

Figure 5 : pièce archéologique 

abysme

Figure 6 : reproduction

La technique a consisté à faire fondre préalablement le suif de bœuf dans l'abysme et à y tremper les mèches (Figure 7). Le suif liquide se dépose sur la mèche et s’y fige à chaque trempe, contribuant ainsi à l’épaississement de la chandelle (Figure 8). La forme allongée du bac permet de fabriquer plusieurs chandelles en même temps : les mèches sont alors disposées sur un bâton amovible et sont plongées en même temps dans le bac (Figure 9). Les bains successifs permettent d’obtenir les diamètres de son choix. Le chandelier dispose de quelques ustensiles supplémentaires : un coupoir pour couper les mèches et le cul des chandelles afin qu’elles tiennent droit, une balance pour peser les chandelles et les vendre par livres ainsi qu'un panier pour le transport des chandelles (Figure 10). La principale difficulté rencontrée concernait l’obtention d’un refroidissement suffisant de la graisse de manière à ce qu’elle fige et s’épaississe régulièrement. 

abysme

Figure 7

chandelles

Figure 8

chandelier

Figure 9

chandelles

Figure 10

Certaines expérimentations menées par d'autres personnes comprenaient l’introduction d'un peu de cire d'abeille afin que la graisse fige plus facilement. Mais cette solution entre en contradiction avec les restrictions mentionnées dans le règlement d’Étienne Boileau. D'autres tests sont donc envisagés avec du suif de mouton.

Extrait du livre des Métiers d'Etienne Boileau consacré au statut des chandeliers de suif - Titre LXIV


1. Quiconques veut estre Chandeliers de suif a Paris, estre le puet pour tant qu'il ait esté au mestier a Paris ou ailleurs vi ans et plus, et qu'i le face as us et as coustumes du mestier, qui tel sont :
 

Quiconque veut être chandelier de suif à Paris doit avoir exercé ce métier à Paris ou ailleurs pendant 6 ans ou plus et qu'il le fasse selon les us et coutumes du métier, qui sont :
 
2. Nu Chandeliers de suif ne puet avoir que un aprentis, se il ne sont si enfant ; mès il puet avoir tant de vallès come il li plaira, pour tant que li vallès aient esté au mestier vi ans, en Paris ou dehors Paris.
 
Un chandelier de suif ne peut avoir qu'un apprenti, si ce ne sont ses enfants ; mais il peut avoir autant de valets qu'il le souhaite, à partir du moment où le valet exerce ce métier depuis 6 ans, à Paris ou ailleurs.
 
3. Nus Chandeliers ne puet prendre aprentis, soit a argent ou sanz argent, que il n'ait vi ans de service.
 
Aucun chandelier de suif ne peut prendre d'apprenti, en échange ou non d'un paiement, s'il n'exerce pas depuis 6 ans minimum.
 
4. Li aprentis est tenuz de parfaire son service entour la dame se li sires muert, et entour le seigneur se la dame muert, tant que les vi années sont acomplies.

L'apprenti est tenu d'achever son service auprès de l'épouse de son maître si celui-ci meurt, ou dans l'entourage de son maître si sa femme décède également, jusqu'à ce qu'il ait effectué ses 6 ans de service.

5. Nus Chandeliers de suif ne puet metre sains ne oinst avec son suif.
 
Nul chandelier de suif ne peut mettre de saindoux ou d'huile avec son suif.
 
6. Nus Chandeliers de suif ne puet conporter ne faire conporter ses chandoiles aval la vile par le diemenche, ne dehors la vile. Quiconques mesprendra en ces establissements desus devisés, soit mestres, soit vallès, il amendera de v s. au Roy, avec les fauses oevres que il perdra.
 
 Nul chandelier de suif ne peut colporter ou faire colporter ses chandelles le dimanche, que ce soit en ville ou en dehors. S'il est pris à faire cela, qu'il soit maître ou valet, il devra payer une amende de 5 sous au Roi et verra son ouvrage confisqué.
 
7. Nus Chandeliers de suif ne doit de chascune piece de suif qui poise vi livres que obole au Roy, et de mains noiant, et de douze mesures i d., et de xxiiii ii d., et del plus plus et del mains mains a la levance.
 
Chaque chandelier doit, une obole au Roi pour une pièce de suif pesant 6 livres, et pour moins que cela, il ne devra rien, et pour 12 mesures il devra 1 denier et pour 24 mesures il devra 2 deniers et ainsi de suite.
 
8. Le cent de pieces pesant de suif, que on ne puet asambler, doit ii d., et einsine par cens, du plus plus et del mains mains, c'est a savoir : de xxv livres pesant, obole ; et de mains de xxv livres jusques a vi livres et demie pesant, obole ; et de mains de vi livres et demie pesant, noiant.
 
Pour cent livres sèches/pesant ( unité de mesure ) de suif, que l'on ne peut assembler, il doit 2 deniers. Et ainsi par impôt/taxes, de plus en plus et de moins en moins, c'est à savoir, de 25 livres pesant/ sèche, une obole, et de moins de 25 livres jusqu'à VI livres et demies pesant, une obole, et de moins de VI livres et demie pesant, rien
 
9. Quelque pois que la piece de suif poise, pour tant que ele soit en une piece, se ele pesoit Xc, n'en doivent il que obole.
 
 Quelque soit le poids d'une pièce de suif, si elle est en une pièce, et si elle pèse Xc , il ne devra qu'1 obole.
 
10. Ceste coustume appele l'en le tonliu. Et autant doit cil qui vent come cil qui achate.
 
On appelle cette coutume le tonlieu. Et autant en doit celui qui vend que celui qui achète.
 
11. Li Chandeliers de suif de Paris doivent toutes les autres coustumes qui li autre bourgois de Paris doivent au Roy, gueit et taille.  
 
Les chandeliers de suif de Paris doivent toutes les autres coutumes que les autres bourgeois de Paris doivent au Roi, à savoir le guet et la taille.
 
12. Li preud'ome du mestier des Chandeliers de suif de Paris vos requierent, sire prevos de  Paris, que iiii preud'omes que il vos nomeront facent serement que il garderont bien et loiaument le mestier de par lou Roi, et que il garderont la droiture le Roy et la droite a touz ceux aus quex ce apartendra, et que icil preud'ome ou li uns de eus ait pooir de par le Roi de prendre les mauveses oevres la ou il les troverront et aporter par devant vos, sire prevos de Paris, pour jugier et pour jousticier.
 

Les jurés du métier des chandeliers de suif de Paris vous demandent, sire prévôt de Paris, que 4 jurés, dont ils vous donneront les noms, fassent serment qu'ils garderont bien et scrupuleusement le métier de par le Roi, et qu'ils garderont la droiture du Roi et la droiture de tous ceux qui lui sont assujettis, et que ces jurés aient le pouvoir de par le Roi de saisir les malfaçons là où ils les trouveront et qu'ils feront apporter devant vous, sire prévôt de Paris, pour être jugés et traduits en justice.
 
13. Nus Chandeliers de suif ne puet avoir que ii comporteurs par la vile.
 
Chaque Chandelier ne peut avoir que deux colporteurs en ville.
 
14. Li preud'ome des Chandeliers de suif de Paris se sont assenti a cest establissement, se il vos plaist, sire prevos, et l'ont establi pour bien et pour leauté et pour le profist a touz : quar fause oevre de chandoile de suif est trop domacheuse chose au povre et au riche, et trop vilaine.
 

Les jurés des Chandeliers de suif ont donné leur assentiment à ceci, si cela vous convient, sire prévôt, et l'ont établit pour le bien et le profit de tous, car les malfaçons de chandelles sont trop dommageable et mauvaises aux pauvres et aux riches et trop vilaines.
 
15. Nus vallès chandelier ne puet faire chandoiles chiés regratier a Paris, pour ce que li regratier i metent leur suif de tripes et leur remanans de leur oinz : et tele oevre n'est ne bone ne loiax. Et s'il estoit einsi trouvé, li vallès seroit a v s. d'amende au Roy, et li regratier perdroit les chandoiles, et en feroient li mestres du mestier leur volenté.
 
 Nul valet chandelier ne peut faire de chandelles chez les regrattiers[1] de Paris pour que ce dernier y mette du suif de tripe et leur reste d'huile, et telle action n'est ni bonne ni légale. Et s'il est pris à faire ainsi, le valet devra 5 sous d'amende au Roi, le regrattier perdra les chandelles et les maîtres du métier pourront leur donner une sentence.
 
16. Nus vallès chandelier ne puet faire chandoiles chiés bourgois de Paris, se il n'a esté au pestier vi ans ou plus. Et s'il le fesoit, il seroit a v s. d'amende au Roy.
 

Nul valet chandelier ne peut faire de chandelles chez un bourgeois parisien s'il n'a pas exercé comme chandelier 6 ans ou plus. S'il le fait, il devra 5 sous d'amende au Roi.
 
17. Se li mestre Chandelier envoie son aprentis faire chandoiles chiés bourgois de Paris, il est a v s. d'amende au Roy, s'il n'est avec son aprentis tant qu'il ait mis en oevre.
 
 Si un maître Chandelier envoie son apprenti faire des chandelles chez un bourgeois de Paris, il devra 5 sous d'amende, à moins qu'il soit présent avec son apprenti tout le temps de la fabrication.
 
18. Et touz ces establissemens ont ordené li comun du mestier pour le profist du mestier et pour le profist de la vile.
 
Ces règlements ont été ordonné par les gens du métier pour le profit dudit métier et pour le profit de la ville.
 
[1]    Vendeur de légumes, fruits, épices

Remerciements à Joachim pour la traduction et à Matthieu Charbonnet pour les photos.

Pierre Vallée
GMA
Novembre 2020

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