Proposition de recréation d'une chape 1250
paysan ou artisan, noble
Quelques précisions de vocabulaire
De très nombreux textes contiennent le terme cappa – chape, dans des contextes religieux, avec parfois des aspects qui lui sont propres. C’est par exemple la cappa clausa que l’Eglise tente d’imposer aux membres du clergé au XIIIe siècle, afin de limiter les abus vestimentaires de ces derniers, un peu trop sensibles à la mode de leurs contemporains laïques (un vêtement fermé ne permet pas de révéler les fantaisies qu'on peut porter en-dessous). C’est aussi la « cappa pluvialis » mentionnée dans la Willelmi Chronica Andrensis (XIIIe siècle) [i], chape de cérémonie, très ornée. Faut-il voir dans la pérénnité de ce terme, sans lien avec la fonction du vêtement ainsi nommé, un indice de son origine ? Etymologiquement, il s’agit d’une « chape à pluie », qu’on retrouve mentionnée dans des contextes laïques :
De suz la chape se fist ceindre,
Et od une ceinture estreindre »
En une chape a pluie qu’il soleit chevalchier »
Pour la période du Moyen Age central, la chape laïque semble donc désigner un vêtement enveloppant doté ou non d’une capuche [ii], porté en extérieur, pour se protéger de la pluie [iii]. Dans ce contexte, on pourrait imaginer un matériau naturellement imperméable comme la laine ou du cuir traité à cet effet.
Par commodité (la question mériterait une étude bien plus approfondie, mais ce n’est pas l’objet de ce travail-ci), nous conserverons ce terme de chape pour désigner le vêtement présenté ici.
[i] « Volens ab elemosinario nostro cappam pluvialem et sumptuosam annis singulis extorquere » ["Décidé à user de la force pour emporter de l'armoire aux dons (le Trésor ?) le pluvial ornementé d'année en année"] , Monumenta Germaniae Historica, vol. 24 (1925), pg. 729
[ii] Le mot de capa semble avoir désigné d’abord une coiffe, sorte de chaperon (Isidore de Séville) puis le long manteau réservé aux ecclésiastiques, à partir du VIIe siècle. Ce vêtement est ensuite porté par les laïcs à partir du IXe siècle, et le terme capa s’imposera pour cet usage non religieux. J van den Bosch, Capa, Basilica, Monasterium, et le culte de Saint Martin de Tours, Etude lexicologique et sémasiologique, Utrecht, Niemege (1959), pages 14.
[iii] Ibid. page 21.
Que montrent les images ?
Au XIIIe siècle, on peut observer sur certaines sources iconographiques la présence d'un vêtement de dessus porté majoritairement par les hommes, du paysan (source 1) au souverain (source 2), en passant par le bourgeois (source 3), le médecin (source 4) ou l’apothicaire (source 5), ou encore le clerc…Il est donc associé aussi bien au travail manuel qu’au savoir intellectuel, à la richesse, à l’exercice du pouvoir politique…
Les sources
Source 1 : Psalter, imperfect, Pays Bas, 2e quart du XIIIe siècle
Source 2 : Bible d’Edouard le Confesseur – Matthieu Paris – Angleterre – 1230-1260 - (MS Ee.3.59) fol.11r http://cudl.lib.cam.ac.uk/view/MS-EE-00003-00059/26
Source 3 : vers 1230 - Drapiers - portail du transept nord - Cathédrale de Reims. Photo de l’auteur.
Source 4 : Le médecin Al-Razi - Gerardus Cremonensis – Recueil des traités de médecine – 1250 – 1260.
Source 5 : Apothicaire et ses assistants préparant des médicaments - Gerardus Cremonensis, XIIIe siècle (troisième quart) - Besançon, BM - ms. 0457.
Plus rares sont les représentations féminines qui en sont revêtues. Il s’agit essentiellement de nobles ou de souveraines souvent figurées à cheval.
Parfois c'est une image « officielle », comme sur le sceau d’Alix de Brabant, à la chasse au faucon, mais le plus souvent le contexte est celui du déplacement (sources 6 et 7). Ce topos iconographique dépasse le cadre du XIIIe siècle, comme en témoignent les valves de miroir en ivoire (début XIVe), souvent ornées de scènes courtoises, qui se déroulent dans le cadre d’une promenade à cheval. On peut y voir la jeune femme arborer un vêtement enveloppant, à manches longues « ouvertes » et capuche, dotée d’une ligne verticale de boutons sur le devant (l’évolution de la mode voit se multiplier l’emploi de ces accessoires dans le courant du XIIIe siècle). Peut-être s’agit-il ici d’un exemple de la « cloche à chevaucher » mentionnée dans les Comptes de l’Argenterie royale, en 1317.
[i] https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Couple_chevauchant.jpg
[i] Dépenses de la reine Jeanne de Bourgogne, L. Douët – D’Arcq, Comptes de l’Argenterie des rois de France au XIVe siècle, Paris (1851), page 290.
Les sources
Source 6 : Aiol et Mirabel rencontrant Gonbaut - Beuve de Hantone ; Élie de Saint-Gille ; Aiol ; Robert le Diable (1275-1290)- BNF – ms 25516 – fol.142.r
http://cudl.lib.cam.ac.uk/view/MS-EE-00003-00059/13
Source 7 : fuite de la reine Emma de Normandie avec ses fils Knud le Hardi et Édouard le Confesseur - Bible d’Edouard le Confesseur – Matthieu Paris – Angleterre – 1230-1260 - (MS Ee.3.59) fol.4r
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84516032
Présentation et réalisation
Deux expérimentations ont été menées (figures 1 et 2). La première est une chape qu’un paysan pourrait endosser pour ses déplacements à pied, éventuellement sur de longues distances, par temps froid ou pluvieux. La seconde est destinée à une noble qui irait en promenade ou se déplacerait à cheval.
Si les deux vêtements présentent des formes similaires, ils se démarquent dans de nombreux aspects. Ainsi, les matières, les couleurs, les ampleurs, la confection tentent-elles de restituer de manière parlante les différences sociales.
Matières et couleurs
Une laine (2/1 sergé), grise, non teinte, plus épaisse que celle de la cotte a été choisie pour la chape paysanne (figure 3, gauche). Une laine en suint aurait sans doute été une alternative intéressante à tester, mais une telle étoffe semble difficile à trouver…
La chape « noble » a nécessité une plus grande diversité de matières. Elle est faite dans une laine fine (3/1 sergé), d’origine industrielle (figure 3, droite), au tombé lourd et fluide à la fois. Le bleu très dense a été choisi pour refléter à la fois l’engouement grandissant pour cette couleur et sa diversité chromatique croissante pendant le XIIIe siècle. Les doublures sont en taffetas bleu foncé pour le « corps » et les manches, et en fourrure de petit gris pour la capuche. Seule la capuche de la chape paysanne est doublée de lin naturellement écru.
Les patrons
Les deux chapes expérimentées (patrons 1 et 2-2bis) ont une construction générale similaire, avec une partie couvrant le corps très proche de la forme du surcot. Les manches y sont figurées sous la forme d'un tube pour mieux distinguer leur emplacement final dans l'emmanchure.
L’ampleur varie considérablement entre les deux propositions (figure 4 à 7). Dans le vêtement noble, j’ai cherché à restituer l’important plissé visible dans les images, tout particulièrement les sculptures, au relief plus réaliste (source 3, figure 7). Un tel plissage nécessite un grand métrage de tissu et justifie le recours à plusieurs grands godets latéraux dans la construction de la chape.
Les manches sont elles aussi caractérisées par une grande différence d’ampleur (figure 8) : la largeur de la pièce de tissu passe du simple au double. De ce fait, le sommet de la manche n’est pas traité de la même manière. Dans le premier cas, le tissu est juste froncé et pris dans la couture de jonction à la manche (figure 9 et 9 bis). Dans le second exemple, le plissage est plus élaboré (figure 10). Le tissu, déjà doublé, a été préalablement plissé à l’aide d’un gabarit afin de conserver une régularité indispensable des points (figure 11). Cette opération a été réalisée sur l'envers, à 3 reprises, sur la totalité de la largeur de la manche, en laissant quelques cm d’intervalle entre chaque ligne (figures 12 et 13). Les fils ont été fixés régulièrement dans les plis par des nœuds, afin de maintenir le plissé en place. Enfin, le sommet de la manche a été inséré entre la doublure et la laine, sur l’épaule, puis fixé par une couture extérieure (figure 14). L’effet obtenu est proche de celui de la robe actuelle portée par les magistrats et les avocats quand ils siègent. Sans doute faut-il y voir un vestige du costume des membres du Parlement et des universitaires du XIVe siècle. Détail intéressant : en 1352, il est fait mention de plusieurs « chapes à fronces cousues » [i] fournies à la reine Blanche de Bourbon. Ce qui correspondrait assez bien à la construction expérimentée ici, mais cette piste éventuelle nécessiterait d’être plus documentée.
Les manches des chapes respectives présentent une dernière différence : sur la chape noble, leur rattachement est placé assez haut sur l’articulation de l’épaule, afin de bien dégager cette dernière. Il semble que cette disposition ait un intérêt essentiellement esthétique (je n’ai pas vu de sources iconographiques dans lesquelles ces manches sont enfilées) : on observe alors un basculement de la manche vers l’arrière qui révéle la doublure en bas (figure 15 : source 8 et expérimentation) et dans l’ouverture. Seule la moitié inférieure de la manche est fermée par une couture de jonction entre les deux bords verticaux.
Les impératifs esthétiques n’ont pas été retenus pour la chape paysanne. Seuls les aspects pratiques ont prévalu. La manche est rattachée un peu plus bas, à l’avant de l’articulation de l’épaule mais il est alors facile de glisser le bras dans la manche ou de le dégager, suivant les nécessités.
[i] Dépenses de Blanche e Bourbon, L. Douët – D’Arcq, ibid, page 30.
Source 8 : la reine Emma et ses enfants devant Richard de Normandie - Bible d’Edouard le Confesseur – Matthieu Paris – Angleterre – 1230-1260 - (MS Ee.3.59) fol.4v
Les fils et les points de couture
Les coutures ont été réalisées au fil de lin, non teinté, gris pour la chape de paysan et blanc pour celle de la noble.
Les points de couture sont attestés sur les vestiges archéologiques : le point avant, pour joindre par exemple la laine à sa doublure (figure 16 - technique du cousu retourné), le point de surjet pour joindre les bords des parties doublées (figure 17) et le point de grébiche pour arrêter la laine aux extrémités des manches et en bas de la chape (figure 18). Ce point est particulièrement bien adapté à la laine épaisse de la chape paysanne. Le fil vient se poser sur la tranche pour limiter de manière efficace les risques d’effilochage.
Dossier technique
Etape 1 : Découper chaque pièce dans la laine et la doublure.
Etape 2 : Former la partie « corps » : poser chaque pièce de laine sur sa pièce de doublure correspondante, endroit contre endroit et faire une couture de jonction au fil de lin et au point avant (figure 16), sur les côtés et en haut. Important : laisser libre le bas des morceaux pour pouvoir ensuite ajuster leur longueur les uns aux autres et épingler seulement les bords des emmanchures, car il faudra y insérer les manches.
Etape 3 : Repasser les coutures pour les écraser et retourner chaque partie du vêtement (photo technique 19)
Etape 4 : Disposer tous les éléments les uns à côté des autres afin de vérifier qu’ils s’alignent (photo technique 20) et les joindre par des points réalisés au fil à bâtir, puis au point de surjet avec du fil de lin écru (figure 17). Uniformiser les longueurs des pièces.
Etape 5 : Réaliser la capuche : couper la forme dans la laine et dans une épaisseur de lin destinée à renforcer le tissu (la tension occasionnée par l'ajout de la fourrure sera diminuée et plus également répartie). Poser les deux pièces envers contre envers et les fixer avec des épingles. Rentrer vers l’intérieur les bords des deux tissus et faire une couture de jonction au point de surjet, sur le pourtour de la capuche (photos technique 21 et 22).
Etape 6 : Découper la forme de la capuche dans la fourrure et la joindre au point de surjet à la capuche de tissu, excepté le long de la partie formant la base du cou.
Etape 7 : Préparer l'encolure de la chape : joindre par un point de surjet la laine et la doublure de soie. Marquer les milieux du devant et du dos par quelques points au fil à bâtir (photo technique 23).
Etape 8 : Rattacher la capuche à l’encolure : commencer par marquer le milieu de la capuche par quelques points au fil à bâtir. Aligner les repères de la capuche et de l’encolure. Commencer la couture de jonction en partant du repère du milieu du dos et en allant vers le milieu de l’encolure, devant. Ceci permettra de vous assurer que la taille de la capuche est parfaitement adaptée à celle de l'encolure. Cette couture de jonction est faite au fil de lin et elle ne prend pas en compte la fourrure qui ne sera cousue qu’ensuite (photo technique 24). Faire des points les plus serrés possible pour assurer une bonne solidité (il faut aussi tenir compte du poids de la fourrure qui rique de tirer sur les coutures) et une finition la plus correcte possible. Sur l'endroit, les points se voient très peu (photo technique 25) et la jonction des deux côtés de la capuche doit être la plus précise possible (photo technique 26). Puis, fixer la fourrure à l’encolure (photo technique 27) au fil de lin. Quand les 2 épaisseurs (laine/taffetas et fourrure) sont fixées, fermer la visagière de la capuche en cousant le long de la hauteur du cou (photo technique 28).
Etape 9 : réaliser les manches plissées -voir paragraphe les patrons
Photo technique 29 : source - dos – plis en diagonales (pas d’ouverture visible) – point d’insertion du plissé de la manche à l’arrière de l’épaule.
Photo technique 30 : expérimentation - dos - couture de jonction de la manche au corps.
Photo technique 31 : plissé des manches, en partie dissimulé par la capuche, du fait de la faible largeur sur l’épaule.
Photo technique 32 : ouverture de la manche avec effet de « poche » lié au basculement sur l’arrière de l’épaule.
Photo technique 33 : ouverture et attache de la manche sur l'avant de l'articulation à l'épaule.
Remerciements à Perline la Tisserande pour ses précieux avis techniques ! à Arnaud Mignard du Château de Puivert, à Adeline et Siwa, des Rênes de l'Histoire, à Joachim pour les photos, à Pierre et à tous les lecteurs !
Catherine Besson Lagier
Pour les Guerriers du Moyen Age
Mai 2020
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