Un costume de paysan ou d'artisan vers 1250
Quelques éléments de la démarche
J’ai choisi de réaliser un costume caractéristique de ce qu’on qualifie volontiers de « petit statut social » dans la pratique de la reconstitution historique du XIIIe siècle. Cette appellation, totalement artificielle, ne correspond à aucune réalité historique, mais a en revanche le mérite, du moins à mes yeux, d’offrir un fil conducteur à celui ou à celle qui s’engage dans la réalisation d’un costume. Je parle du critère financier qui joue un rôle primordial, à l’époque tout autant qu’aujourd’hui, dans la vie réelle comme dans la vie rêvée du « reconstituteur ». Ainsi, le costume réalisé ne sera qu’une illustration parmi d’autres propositions, en raison de l’extrême diversité des situations économiques et sociales médiévales (bourgeoisie, noblesse et clergé compris). Il n’y a donc pas un type de paysan ou d’artisan mais des types.
Quelques principes de base ont conduit la réflexion dans l’élaboration de ce costume.
D’abord, je n’ai pas cherché à le localiser dans une région très précise. Le chanvre utilisé pour la réalisation de la chemise est une plante textile présente partout. II n’est donc pas un marqueur géographique. Ce n’est pas le cas du lin, qui craint les fortes chaleurs et demande de l’humidité. On le retrouve donc plutôt dans les régions du nord et tout particulièrement les régions maritimes. Tout au plus la teinture bleue du surcot pourrait-elle correspondre à l’usage du pastel (ou guède), plante sauvage présente dans le midi de la France et tout particulièrement dans le Lauragais et l’Albigeois.
Ensuite, les matières (chanvre, laines, lin), les armures (toile, serge 2/1), les couleurs (matières non teintes sauf pour le surcot) ont été choisies pour restituer un paysan ou un artisan de « village », qui dépend des ressources exclusivement locales. J’ai décidé de ne pas prendre en compte les échanges commerciaux entre ville et campagne, qui devaient se produire, même à une très faible échelle, étant donné qu’il est très difficile de mesurer leur impact sur la composition d’un costume. Pour cela, il faudrait affiner la recherche sur une zone géographique très réduite, bien étudiée dans tous ses aspects économiques et sociaux, et qui a fait l'objet de publications.
Enfin, ce travail se voulait aussi un reflet de mes expérimentations sur le costume en général. Cela fait de nombreuses années que je confectionne des vêtements et la réalisation de chacun d’entre eux constitue une étape dans un processus de découverte quasiment sans fin. Ici, j’ai utilisé des tissus réalisés au métier mécanique (exception faite de celui des braies, projet en attente). J’ai tout particulièrement travaillé sur les patrons et les questions d’assemblage des pièces les unes aux autres, avec l’objectif de restituer à la fois un « visuel » proche des sources et un costume pratique, destiné à un travailleur.
Composition et réalisation du costume
Il comprend plusieurs couches de vêtements qui constituent une petite "robe" d’intérieur et d’extérieur. J'y ai joint quelques accessoires simples. L’ensemble résulte de choix personnels et certains éléments sont interchangeables.
L’ordre de présentation des pièces répond à une logique d’habillage : d’abord ce qu’on porte dessous, puis ce qu’on peut revêtir par-dessus.
Braies, chemise, cale (figures 1 à 8 - patrons 1 et 1 bis, 2 et 3 – sources 1 à 5)
1 - Les braies
Les braies sont en lin. Elles ont été réalisées selon le patron 1, mais le patron 1 bis permet d’obtenir une aisance maximum dans l’entrejambe. Elles sont fendues sur leur face interne dans le bas de la jambe et fermées par un lacet de tissu. Les braies peuvent être remontées sur le haut de la jambe et fixées au braïel grâce au lacet, afin d’offrir plus d’aisance pendant le travail. A la taille, les braies présentent des ouvertures par lesquelles le braïel est accessible. Des cordons en laine, faits aux doigts, y sont noués pour attacher les chausses, ainsi qu’une bourse en cuir, réalisée sur un modèle issu des fouilles de Londres.
2 - La chemise
La chemise est faite en toile de chanvre, dans une teinte naturelle grisâtre. Elle a une encolure bien échancrée, des manches arrêtées juste à l’articulation du poignet. Elle arrive à hauteur des genoux et ne présente pas une grande ampleur. Elle exige donc peu de tissu. Le patron 2 propose un plan de coupe « classique » pour la période, copié sur des pièces archéologiques, comme les tuniques du Groënland. Parmi les chemises encore conservées de nos jours se trouvent des pièces en lien avec des personnages bien spécifiques du XIIIe siècle (Saint-Louis ou l’évêque Rodrigo Ximenez de Rada - Las Huelgas, Burgos, Espagne) qui ne peuvent servir de modèles ici. Le patron dessiné tient compte des dimensions actuelles des tissus disponibles et peut donc se tailler dans un lé de 140 cm, comme dans un lé de 60 cm, ce qui est plus juste d’un point de vue historique, si l’on tient compte des conditions de vie de notre personnage à habiller. Dans ce dernier cas, les manches et les godets peuvent être conçus en plusieurs morceaux (fouilles du Groënland).
3 - La cale et le chaperon
La cale est un bonnet de lin noué sous le menton. Elle est faite en deux parties (patron 3) jointes par une couture centrale et bordées par un galon de lin, dont les extrémités constituent les attaches. Il est conseillé de procéder à un montage de la coiffe directement sur la tête de la personne, à l’envers et à l’aide d’épingles afin d’obtenir le meilleur ajustement. Ici, deux petites pinces ont été réalisées au-dessus de la nuque pour resserrer la coiffe, à l’instar de la source sculptée de Ferrare (d’autres pinces sont visibles aussi dans la zone correspondant au front).
https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Porta_dei_Mesi_(Ferrara)#/media/File:Maestro_dei_mesi,_09_vendemmia_(settembre),_1225-1230_ca._02.JPG
La cale peut se porter seule ou être associée à une autre coiffe, comme un chapeau ou un chaperon (Figures 8 bis et 8 ter et patron 3 bis). Ici, le chaperon de laine a été doublé de peaux de lapin.
Les sources
Source 2 : bourse attachée aux braies - Vie de Bède le Vénérable – Tournai, Belgique, 2e moitié du XIIe siècle. British Library, Add MS 15219, f. 12r.
Source 3 : bourse faite de deux pièces de cuir assemblées selon la technique du « cousu retourné » – H : 9.8 cm, largeur conservée : 6.5 cm – découverte dans un dépôt daté de la fin du XIIe siècleG.Egan., F. Pritchard, Dress Accessories 1150 – 1450, The Boydell Press, Woodbridge 2004, page 344, figure 226, inv. 1693.
Source 4 : chemise – Bible de Maciejowski, Paris 1250, f.25.r
Source 5 : cale – Psautier Belgique, 1280. J. Paul Getty Museum
Chausses, cotte, surcot, chape (figures 9 à 28 – patron 4 à 8 – sources 6 à 11)
1 - Les chausses
Les chausses sont enfilées par-dessus les braies et rattachées au braïel. Elles sont en laine, taillées dans le biais (en diagonale) du tissu de manière à bénéficier de la plus grande élasticité de la matière. Taillées dans une laine non teintée, les chausses reproduisent le modèle à pied. Par souci d’économie, la partie couvrant la jambe est conçue dans un tube avec un godet inséré dans sa partie supérieure. Les chausses en soie de l’empereur Henri III (source 6) reprennent cette construction, ce qui pourrait indiquer que les plus riches n'échappaient pas à ce souci d’économie, mais aussi que l’habillement du corps du défunt pouvait se contenter de pièces moins dispendieuses en tissu. Les fouilles du Groënland ont mis au jour des chausses dotées d'un long gousset le long de la jambe, ce qui offre ici une altenative.
Le patron 4 propose une alternative aux chausses à pied, si vous souhaitez réaliser le costume d’un paysan plus modeste encore. Certaines représentations de bergers (source 7, 8 et 8 bis) ou de pauvres, montrent soit une bande passée sous le pied (actuellement qualifiées de « chausses à étrier » faute de terme plus approprié) soit une chausse qui se termine à la cheville.
Un texte vient confirmer la réalité de ces images. L’interdiction de porter « des chausses ayant pied » est rappelée dans le cartulaire des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, dans un « jugement et coutumes de l’Hôpital » daté de 1239 :
"de frere qui porte chauces avampiés : item il est usé en nostre maison que nul frere ne doit chaucier chauses avant-piés et si le fait le bailli s’en plaint doyt estre en une VII [VII : settaine = 7 jours de mise à l’écart de la communauté des frères."
Il faut sans doute voir dans cette interdiction un lien entre la mission d’aide et de réconfort que les frères remplissaient auprès des pèlerins et des malades, et la simplicité qu’ils devaient montrer dans leur tenue. Reste le fait qu’aucune indication de ne permet de connaître la forme exacte de l'extrémité de ces chausses.
Les sources
Source 6 : Chausses en soie – Heinrich III (1017 – 1056) - contexte funéraire – Catalogue « Des Kaisers letze Kleider » – Historisches Museum der Pfalz Speyer (2011), figure 2, page 174.
Source 7 : Chausses à étrier – David en berger (?) - Portail nord - Cathédrale de Chartres – photo de l’auteur.
Sources 8 et 8 bis : Chausses sans pied - Nord-Ouest de la France – Saint-Omer - Bible du monastère de Saint Bertin (?) – fin XIIe – David (fol.3) et annonce faite aux bergers (fol. 10) http://www.mythfolklore.net/bibgreek/artgallery/bertin_annshep.htm
Bibliographie : Else Ostergard, Woven into the Earth, textiles from norse Greenland, Aarhus University Press, Denmark, 2004, page 223, figure 88.
2 - La cotte
La cotte en laine recouvre la chemise (figures 12 à 17 – patrons 5 et 6 – source 9). J’ai utilisé le patron 6, en appliquant toujours le principe d’adjonction de godets de petites dimensions sur le pourtour du vêtement (côtés et centre), afin d’obtenir ce plissage réparti de manière équilibré. Si vous souhaitez descendre l’échelle sociale, vous pouvez prendre le patron 5 qui diminue l’ampleur de la cotte. Le Patron 5, d'une ampleur plus réduite, est destiné à la cotte d'un paysan plus modeste.
Pour travailler, il est important que les mouvements de bras ne soient pas gênés. Si le vêtement manque de largeur aux entournures, le tissu risque de craquer tès vite. Deux solutions s’offrent à vous. La première consiste à rajouter un godet latéral qui vient s’insérer sur l’épaule, de chaque côté, comme sur la tunique de Moselund .
La seconde propose de faire un dos un peu plus large qu’un devant. Une dizaine de cm supplémentaires suffit. Au centre du dos, le tissu superflu forme une sorte de poche, qui épouse naturellement l’arrondi de la nuque et qui évite de tailler une encolure dans le tissu. Cette solution a été mise en pratique ici. A l’usage, le confort est total.
Les manches sont taillées dans un seul morceau. Il est aussi possible d'adopter la conception de la tunique de Kragelund en plusieurs morceaux, qui économise du tissu mais qui permettra aussi d'obtenir une forme plus anatomique.
L’ampleur de la cotte est limitée par les considérations économiques déjà mentionnées (environ 4 m de circonférence à la base), mais elle reste cependant suffisante pour ne pas entraver les mouvements liés au travail (source 9) et être, par exemple, facilement remontée dans la ceinture. Le vêtement est porté blousé à la taille. Il faut donc anticiper, au moment du calcul des mesures pour le patron, et prévoir en moyenne une vingtaine de cm en plus dans la longueur.
L’encolure est ajustée à la base du cou. L’amigaut est maintenu par un fermail simple. La ceinture, en laine grise, est réalisée selon la technique du tissage aux cartes. Elle est simplement nouée autour de la taille. Le couteau y est accroché.
Les sources
3 - Le surcot
Pour les jours de fête ou les dimanches, notre paysan complète sa tenue par un surcot (figures 18 à 26 - patron 7 ci-contre). C’est un vêtement de dessus, qui peut être doté ou non de manches, comme c’est le cas ici. Il est plus court que la cotte d’une dizaine de cm environ, et un peu moins ample qu’elle aussi, mais construit de la même manière. Les godets latéraux sont composés de plusieurs empiècements, organisés de manière symétrique. Leur nombre important, ainsi que leur petite dimension résulte d’un « accident » (le rétrécissement de la laine pendant le processus de teinture a imposé un changement de projet, la tunique initialement prévue s’est donc transformée en surcot !)
La couleur du surcot a été obtenue par une teinture à l’Indigofera, sur une base de laine beige grisée. Le très beau travail est celui de l’Atelier de Micky .Le pastel (rare et cher de nos jours) aurait été plus historique pour un costume du XIIIe siècle. En effet, l’indigo des Indes arrive en Europe dans le courant du XIVe siècle et entre en concurrence féroce avec le pastel, dont la production disparaîtra, malgré les nombreux règlements urbains pour le protéger. La petite concentration du pigment a produit une laine bleu clair, à faible densité de ton.
4 - La chape
Enfin pour se réchauffer en hiver (source 11), aller à l’extérieur, se déplacer tout en étant protégé des intempéries (source 1), une chape a été confectionnée (figures 27 et 28 – sources 10 et 11, patron 8 ci-contre). Ce vêtement est porté quasiment dans toutes les couches de la société (a priori plus par les hommes que par les femmes). Ses différentes déclinaisons dépendent étroitement des ressources financières disponibles : la longueur et l'ampleur vont varier, les manches être plus ou moins plissées, la doublure présente ou absente, les couleurs plus ou moins denses…L’avantage de ce vêtement est que les manches peuvent être enfilées ou pas, selon qu’on souhaite plutôt se protéger ou libérer les bras. Mes expériences de marches en costume m’ont bien fait comprendre l’intérêt d'avoir les bras dégagés (liberté générale de mouvement, aisance plus grande pour négocier le passage d’obstacles naturels, maniement du bâton facilité...).
Les sources
Source 11 : Evêque congédiant un pèlerin - Pontifical à l’usage de Beauvais – 1225-1250 - Besançon – BM – ms. 0138 – f.156
http://www.enluminures.culture.fr/public/mistral/enlumine_fr
Chaussures, socques, panetière ou besace
Les chaussures sont des bottines de cuir (sources 5 et source 10), de forme courante aux XIIIe siècle (remontant au-dessus de la cheville et fermées par un triple laçage).
Pour les déplacements j'ai complété le costume par un chapeau de paille, une gourde, un bâton et des socques en bois ont été ajoutées.
La gourde est une calebasse évidée.
Enfin, une panetière ou besace en lin (patron 8 ci-contre) contient un casse-croûte. Notre paysan a plus ou moins endossé la panoplie du pèlerin (source 10).
Surtout n’oubliez pas que les images sont statiques. Un costume porté vit et bouge avec vous. C’est alors que la chemise peut dépasser des manches, que la ceinture peut se voir, que les chausses peuvent plisser, c’est normal…Et ce d’autant plus si vous utilisez des tissus tissés au métier, qui subissent plus de déformations à l’usage. N’oubliez pas non plus qu’ils sont amenés à se salir (si les dessous en lin se lavent, un vêtement en laine se brosse, mais ne se lave pas), à se déchirer (pensez à conserver quelques chutes de vos tissus pour faire des réparations), à se froisser (je roule mes vêtements quand je ne peux pas les suspendre, je les fais sécher sans les essorer). Un costume qui a vécu est beau… !
Remerciements à Perline la Tisserande pour les conseils techniques et à l'Atelier de Micky pour la teinture, à Joachim pour les photos, à Pierre pour la relecture attentive et à Martial pour le mannequinat ! Remerciements particuliers au photographe Matthieu Charbonnet.
Catherine Besson Lagier
pour les Guerriers du Moyen Age
2 mai 2020
mise à jour 31/05/2021
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