Un costume de paysanne vers 1250
Un costume de paysanne, quelques éléments de la démarche
Le costume féminin présente des similarités avec sa version masculine : certaines matières textiles sont identiques (laine, lin…), le principe de superposition de vêtements variable selon les activités pratiquées ou les contextes a été repris. On retrouve aussi des accessoires communs aux deux sexes (ceinture, panetière, chaussures montantes à lacets…).
Les principales différences s’observent dans la coupe des vêtements et dans le port d’accessoires spécifiquement féminins.
Les matières et les couleurs
Un lin naturellement écru (Figures 1 et 2), à armure toile, a été utilisé pour confectionner la chemise et le voile, en privilégiant pour ce dernier un tissage moins serré ce qui lui confère une plus grande souplesse.
L’ensemble des vêtements de dessus est fait de laines (armure toile) dont les couleurs sont obtenues par teinture industrielle : une première cotte bleutée (Figure 3), une seconde dans les tons de gris foncé (Figure 4), des chausses (Figure 5) et un manteau en laine marron, clair et foncé, et un surcot écru.
Enfin, la panetière ou besace a été taillée dans un tissu en fibre d’ortie (Figure 6). Cette plante a été longtemps cultivée pour la fabrication de textiles et de cordages, avant d’être petit à petit évincée par le lin et le chanvre.
Les fils et points de couture
Les coutures sont faites au fil de lin écru, à la machine pour les coutures invisibles, à la main pour les ourlets de l’encolure, des poignets et du bas. Le point de grébiche a été utilisé sur la cotte bleue, pour la finition des poignets et du bord inférieur (Figure 7).
Composition et réalisation du costume
L’ensemble du costume a été composé en suivant le principe appliqué à sa version masculine, de manière que le personnage puisse agir dans les espaces domestique et extérieur.
Le répertoire iconographique du XIIIe siècle évoque assez peu le travail féminin, dans les campagnes. Quand c’est le cas, on observe une prédominance de la représentation de la fileuse (éternelle Eve), associée à un paysan (Adam) qui travaille la terre.
Si la fabrication du fil constituait bien une réalité dans la vie féminine (comme peuvent en témoigner les nombreuses découvertes de fusaïoles en contexte de fouilles archéologiques), on peut y ajouter le tissage et la confection des vêtements. Donc un ensemble d’activités exercées d’abord dans l’espace domestique.
Les calendriers agricoles ne sont pas d’un grand secours pour appréhender les activités extérieures. La femme y apparaît tout particulièrement au moment de la moisson et de la fenaison, quand la demande en main-d’œuvre est importante pour mettre à l’abri les récoltes, ou en arrière-plan dans les scènes d’abattage du cochon (c’est elle qui est « aux fourneaux »). On est donc, là encore, dans un topos iconographique. Pourtant l’activité agricole féminine était plus variée que cela. Lui étaient dévolues des tâches non spécialisées comme la tonte des moutons, le bêchage, le sarclage, la cueillette du houblon... Les femmes pouvaient aussi participer au circuit de productions alimentaires (bière, fromages, lait, beurre, œufs…), dont le surplus était vendu pour garantir à la famille un revenu supplémentaire variable selon le lieu d'implantation de l'habitat rural. Ici, comme pour le costume du paysan, le choix s'est porté sur une exploitation familiale, sans relation directe avec l'espace urbanisé. Le costume présenté ici comprend donc des vêtements d’intérieur et d’extérieur. Il s’agit d’une proposition, parmi bien d’autres possibles, tant la diversité des conditions économiques et sociales était grande.
Sources bibliographiques :
- Histoire des femmes en Occident, II. Le Moyen Âge, sous la direction de Christiane Klapisch-Zuber, p. 381-383.
- Danièle Alexandre-Bidon, Marie-Thérèse Lorcin, Le quotidien au temps des fabliaux, Paris, Editions Picard, pages 207-209.
- Perrine Manne, Le travail à la campagne au Moyen Âge, étude iconographique, Picard, 2006.
Le dossier présente les différentes couches de vêtements dans l’ordre de leur superposition (chemise, cotte, pelisson, surcot, manteau/chape) en y associant les accessoires.
La chemise et la coiffe
La chemise est par définition associée à l’espace intime pour les femmes (contextes d’accouchement par exemple), alors qu’il constitue une tenue de travail pour les paysans qui sont aux champs par exemple, pendant les mois chauds. En revanche, c’est en chemise que sont souvent représentés les suppliciés, hommes et femmes confondus, avant tout en signe d’humiliation.
La chemise (Figure 8 – Patron 1 – Sources 1 et 2) est plus longue que sa version masculine et arrive à hauteur des chevilles. La construction reste cependant la même, avec l’ajout de godets qui optimisent l’exploitation du tissu disponible.
L’encolure, bien échancrée, est ici arrondie, mais elle pourrait aussi être en V ou encore en "coeur" (Source 1). On constate que l’ampleur, modeste, permet de conserver une aisance minimum pendant la marche.
Comme il se doit, la tête est couverte. La coiffe la plus commune est le voile, dans la droite ligne de la tradition antique, récupérée et adaptée aux préceptes chrétiens établis très tôt et répétés, voire ressassés par les prédicateurs et les législateurs (voile de pudeur et de vertu sous lequel doit se cacher la femme, grande pécheresse…). Si les voiles sont devenus des accessoires de coquetteries multiples et variées dans les espaces urbains, ils sont restés plus modestes dans les zones rurales, se réduisant parfois à de simples morceaux de toile.
Ici le choix a été fait de porter d’abord une coiffe en forme de bonnet (Figure 8 - Patron 2), version simplifiée de celle dite de « Sainte-Brigitte ». Elle peut être portée seule, dans un contexte de travail (des servantes en sont coiffées) ou a priori, recouverte par un voile (Source 3).
La coiffe est réalisée en deux parties et maintenue en place à l’aide d’un cordon, fixé à l’arrière. Ce cordon forme une boucle ramenée au-dessus du front et croisée, pour se rabattre ensuite sur le dessus de la tête et maintenir en tension la poche contenant les cheveux (Figure 9).
Source 1 : Frère LAURENT, Somme le Roi - 1294 Français 938 Folio 120v
Source 2 : Prise de l’habit - Vies de saints, Hainault, 1288, Ms.412, fol 225r.
Source 3 : Ruth dîne avec Booz - Bible de Maciejowski - Pierpont Morgan Library, New York, Ms M. 638, fol. 17v.
Figure 9
Pour des raisons pratiques très actuelles (cheveux trop courts pour être nattés ou coiffés en chignon), le cordon peut être fixé par une épingle discrète qui aidera au maintien de la coiffe en place. Sinon, pour faire comme à l'époque il est possible de recourir au postiche (la filasse de lin fonctionne très bien) pour remplir la poche et obtenir la tension souhaitée pour un bon maintien de la coiffe et de son cordon.
La cotte et les chausses
La cotte en laine marron recouvre la chemise (Figures 10, 10 bis et 11 – Patrons 3 et 3bis - Source 4) et son encolure est ajustée à la base du cou. Elle doit être assez longue pour arriver jusqu’au sol, tout en étant blousée. L'ampleur, obtenue par le rajout d’étroits godets latéraux, reste modeste, mais pour travailler ou se déplacer plus aisément, la robe peut être remontée dans la ceinture (Source 4). L’ajout de godets supplémentaires qui demandent plus de tissu est possible. Cela permet d’introduire une petite différenciation économique et sociale entre deux personnages.
La cotte est complétée par une ceinture en laine grise et marron, réalisée selon la technique du tissage aux cartes. Elle est simplement nouée autour de la taille. Un fermail clôt l’amigaut placé sur le devant de la cotte, comme c’est le cas dans de nombreuses sources iconographiques. Quand cette ouverture n’est pas figurée alors que l’encolure correspond à la base du cou, on peut supposer qu’elle est placée sur l’épaule. C’est ce procédé qui a été adopté pour la cotte de laine bleue (Figure 11), alors fermée par un cordon noué.
Certaines images (Sources 4 et 5) montrent des femmes, cottes relevées sur les jambes, dont le bas est recouvert par un tissu plus ou moins plissé, formant les chausses. Représentées à dessein entièrement tombées sur les chevilles (personnage ridiculisé comme dans les marginalia d’un manuscrit de 1350 - Source 6), les chausses montrent alors qu’elles sont plus courtes que celles des hommes et ne montent qu’à la hauteur des genoux. Leur forme peut être rapprochée de celle des chausses de cérémonie portées par des souverains ou des prélats, qui ont été parfois retrouvées dans leurs tombes ou conservées comme reliques dans les trésors d’église.
Les chausses ont été réalisées en laine (Figures 12 et 13 – Patron 4) et taillées dans le biais (en diagonale) du tissu. Des jarretières nouées sous le genou les maintiennent en place et le haut des chausses est ensuite rabattu, roulé par-dessus le cordon. Le patron montre une découpe en trois parties : la jambe qui englobe le talon, le dessus du pied et la « demi-semelle ». Pendant le processus de construction, il est conseillé de faire un montage provisoire sur la jambe et le pied, chausse enfilée à l’envers, afin d’ajuster le tissu au plus près.
A l’usage, les frottements dans les chaussures abîment la chausse : les deux points de faiblesse sont les talons et l’avant du gros orteil. Il est alors possible de découper les parties abîmées et de les remplacer, sans pour cela refaire la totalité d’une chausse.
Source 4 : Calendrier – décembre – cuisson du pain – Bruges – vers 1250 – Ms 14 (85.MK 239), fol.8v
Source 5 : Ruth récupère du grain pour Naomi - Bible de Maciejowski – Paris 1240 - Pierpont Morgan Library, New York, Ms M. 638, fol.18r.
Source 6 : Nord de la France ou Belgique (Tournai ?) - New York Pierpont Morgan Library, MS G.24, fol. 10r
Le Pelisson
Pour se protéger du froid on peut porter un pelisson (ou peliçon), soit entre la chemise et la cotte, soit entre la cotte et le surcot.
C'est un vêtement fait d’une couche de tissu (ici en lin) doublé de peaux, avec la fourrure tournée vers l’intérieur. Ici, c’est du lapin, mais on aurait pu envisager de l’agneau (Figure 14). Le pelisson est sans manches (Patron 5), il descend à mi-cuisse et s’évase suffisamment pour ne pas entraver la marche.
Le surcot
Le pelisson est ensuite recouvert d’un surcot (Figure 15), qui peut être porté en intérieur (pour l’accomplissement des tâches domestiques par exemple), comme en extérieur ou pour des déplacements (Source 7). Il est un peu plus court que la cotte puisqu’il n’est pas porté blousé (compter une dizaine de cm en moins) et un peu moins ample qu’elle aussi. Le patron 6 montre une construction commune à celle de la cotte, les manches en moins. L’ampleur est obtenue par un jeu de godets plus ou moins nombreux et plus ou moins larges (patron 6 bis), selon les ressources financières du personnage.
La coiffe a été recouverte d’un voile de lin simplement drapé autour du+ cou (Figure 16). S’il est porté seul, il peut être fixé à l’aide d’épingles (Figure 17), sur des cheveux préalablement nattés puis relevés.
Source 7 : Naomi et Elimelech - France – Paris – 3e ¼ du XIIIe – MsM 494. Fol. 169r
Le manteau
Pour se prémunir contre les intempéries, le costume est complété par un dernier vêtement de dessus, pour lequel deux solutions sont proposées ici. La première est un manteau inspiré de celui de sainte Claire (Source 8). La relique est composée de plusieurs pièces de laines différentes, cousues les unes aux autres pour former un rectangle (patron 7),dont les angles (au moins ceux de devant) semblent avoir été découpés en arrondi.
Le manteau obtenu peut être posé sur les épaules (Source 9) ou remonté assez haut pour former une poche qu’il est possible de relever ensuite sur le sommet de la tête pour constituer une capuche (Figure 18 - Source 10). Cette dernière peut-être fermée sous le manteau par un lien, voire un fermail simple. il est aussi possible de faire une couture transversale qui suit la ligne du cou, comme sur le manteau de Sainte Claire (patron 7). Si cette forme a l’avantage d’offrir un usage multiple à la pièce de tissu (qui peut se transformer en couverture si nécessaire), elle limite la liberté de mouvements des bras, surtout lors de marches longues. La seconde forme proposée ici est plus adaptée à la pratique d’activités. Il s’agit d’une sorte de chape sans manche, dotée d’une capuche, reproduisant le vêtement porté par Ruth, dans un contexte de voyage (Source 11). La chape réalisée ici a une forme trapèze obtenue dans la largeur d’un seul lé (Figure 19). Elle est ouverte sur les côtés, mais les cordons latéraux maintiennent les deux pans rabattus sur le corps. Elle est plus courte que la cotte afin de faciliter la marche. Pour tenir plus chaud, elle a été doublée de peaux de lapin. Si la largeur du lé de tissu est insuffisante pour partir sur un trapèze , des godets latéraux peuvent être rajoutés (patron 7 bis).
Source 8 : manteau de sainte Claire conservé au monastère de Sainte-Claire – 1ère moitié du XIIIe siècle.
Source 9 : pignon du tombeau de sainte Magnance – Eglise de Sainte-Magnance – XIIe siècle.
Source 10 : 1220-1230, France, ÖNB Han. Cod. 1179 - Bible Moralisée
Source 11 : Famille de voyageurs - Paris – Bible glosée de l’abbaye Saint-Victor – Bibliothèque Mazarine – Livre de Ruth- Initiale – 1205-1215
Patron 7 : Mechthild Flury - Lemberg, Textile Conservation and Research, Schriften der Abegg-Stifftung Bern (1988), fig. 677, page 317.
Accessoires complémentaires
Les accessoires complémentaires sont des bottines de cuir, de forme courante aux XIIIe siècle (montant au-dessus de la cheville et fermées par un triple laçage). Une panetière ou besace en ortie (Figure 20 - Patron 8) peut contenir de petits objets ou un casse-croûte.
Enfin, un tablier protège la cotte des salissures dans la réalisation de tâches domestiques ou de travaux agricoles (Figures 21 – Source 12). Il s’agit d’un simple rectangle de lin écru, sans lien et juste glissé dans la ceinture. Ce type de tablier est aussi porté par des hommes, artisans (forgerons) ou paysans (semeurs). Au XIIIe, il peut n’être qu’un accessoire de circonstance, alors qu’au XVe, il semble être devenu un élément constant du costume de paysanne.
Source 11 : 1285 – 1290 - Sainte Elisabeth lavant les pieds d’un lépreux – BnF – Nouvelle acquisition française – Ms 16251, fol. 203v
Source bibliographique : Perrine Manne, Emergence du vêtement de travail à travers l’iconographie médiévale, Les Cahiers du Léopard d'or, volume 1 : Le Vêtement - Histoire, archéologie et symbolique vestimentaire au Moyen-âge (1989), p 98 -99.
Le rochet
Parmi les vêtements de protection Perrine Mane cite le « rochet », attesté dans des documents écrits mais quasiment jamais représenté. Il s’agirait d’une sorte de blouse de toile portée sur la cotte, aussi bien dans les campagnes que dans les villes.
Galerie
Remerciements :
Joachim et Matthieu pour les photos, Pierre pour la relecture, Catherine Besson et Tina Anderlini.
Nadia Puypalat, pour les GMA.
Mai 2020.
Mise à jour 31/05/2021
#guerriersdumoyenage #paysanne #costume #couturemedievale #sewing #patroncostume #reenactment #historicalclothes